Journée mondiale des enseignantes et enseignants: pour en finir avec la pénurie d’enseignant•e•s !

Julie McDermott, responsable des communications, de la mobilisation et de la gestion interne

 

Chaque mois de septembre est synonyme, pour la personne responsable des communications au SEECR, de préparation de la Journée mondiale des enseignantes et des enseignants. La première étape consiste à dénicher le thème annuel de cette journée, organisée par l’Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Parfois dramatiques, parfois bon enfant et souvent éloignés de notre réalité nord-américaine, les thèmes varient et il est parfois difficile de s’y identifier, même si on se sent solidaire avec ce qui se passe ailleurs sur la planète. Cette année, surprise, le thème choisi par l’UNESCO est la pénurie d’enseignantes et d’enseignants! C’est à croire que les dirigeants de cette organisation mondiale, basée à Paris, ont écouté Salut Bonjour et le Téléjournal! On a l’impression qu’ils ont entendu, comme nous, les explications de Bernard Drainville, le ministre de l’éducation au Québec, qui promet “un adulte par classe”!

Alors, il semble que cet enjeu ne soit pas que québécois.Une étude mondiale, menée par l’UNESCO et le Bureau international du Travail (BIT) et rendue publique en octobre 2022, démontre que “la croissance continue de la population et la dégradation des conditions de travail sont en train de provoquer une grave pénurie d'enseignants, pouvant entraîner une baisse de la qualité de l'offre éducative dans le monde”[1]. Tiens donc! Dans cette étude, on parle de “crise des vocations”. Le métier d’enseignant est  peu valorisé et les jeunes choisissent de moins en moins cette profession. On le voit aussi au Québec, avec la baisse importante du nombre d'admissions dans les programmes universitaires d’enseignement primaire et secondaire. Ces jeunes enseignantes et enseignants sont pourtant essentiels pour qu’on ait une population éduquée, prête à faire face à tous les défis qui sont devant nous. Mais même lorsqu’ils s’inscrivent à l'université, une grande proportion abandonne avant la fin du programme: “au baccalauréat pour l’enseignement au secondaire, seulement 53 à 55 % sont diplômés, et 68 à 70 % pour celui du préscolaire-primaire[2]”. Et parmi ceux et celles qui obtiennent leur diplôme, les conditions de travail sont telles qu’une autre tranche de 50% quitte le métier cinq ans ou moins après la première année d’enseignement.

L’étude de l’UNESCO démontre aussi que  “le lien entre le statut des enseignants et la qualité de l'éducation: dans les pays où les enseignants jouissent de conditions d'emploi plutôt satisfaisantes, l'éducation tend à être prioritaire et de meilleure qualité”[3]. On y cite en exemple le Danemark, la Norvège, la Hongrie et le Luxembourg. En revanche, les pays en développement, notamment en Afrique sub-saharienne et en Asie du sud, comptent plus d’enseignants jeunes et peu expérimentés et ont un ratio d’enfants par enseignant élevé (50 à 70 élèves par enseignant!). De plus, dans plusieurs pays, la situation des femmes empêche celles-ci d’obtenir des postes de direction, même si elles sont de plus en plus nombreuses à enseigner.

On y parle aussi du salaire peu attractif dans la plupart des pays, à quelques exceptions près, mais surtout du nombre d'heures élevé, dont plusieurs heures supplémentaires non rémunérées. Les changements technologiques sont aussi en cause, car malgré les promesses selon lesquelles ils devraient simplifier la tâche des personnes qui enseignent, il semble que c’est plutôt l’inverse qui se produit: le travail se complexifie et des tâches accomplies autrefois par du personnel de soutien sont transférées vers les enseignantes et enseignants.

Un article de La Presse au sujet de la pénurie d’enseignantes et d’enseignants au Québec note que “depuis plus de 20 ans, l’école est gérée comme une entreprise selon les préceptes de la nouvelle gestion publique (NGP), qui prône la gestion axée sur les résultats, avalisée et soutenue par les récentes lois du Québec, dont la loi 124, la loi 88 et la loi 105.”[4] Il n’en est pas question directement dans le rapport de l’UNESCO, mais gageons que cette nouvelle gestion publique, exportée dans plusieurs pays par les G20, OCDE, FMI et autres grandes institutions mondiales, entraîne déshumanisation, perte d’autonomie professionnelle, cibles à atteindre, reddition de comptes et perte de sens. Pas très attractif ni valorisant pour de nouveaux collègues.

On dit que lorsqu’on se compare, on se console? Évidemment, notre situation n’est pas aussi dramatique qu’au Mali, au Congo ou aux Philippines. Mais force est de constater que la situation se dégrade plutôt que de s’améliorer, ici aussi, alors qu’on a collectivement les moyens de faire beaucoup mieux.

 

Journée mondiale des enseignantes et enseignants, chez nous - Portraits de profs

Julie McDermott, responsable des communications, de la mobilisation et de la gestion interne

Si vous enseignez au Cégep de Rimouski depuis plus d’une décennie, vous vous rappellerez peut-être qu’il fut un temps où on pouvait lire, dans notre Riposte, des portraits de profs. Cela nous permettait de mieux nous connaître, de découvrir et de mettre en valeur le travail de nos collègues, de partager nos visions de l’enseignement, des étudiantes et étudiants, ainsi que certaines pratiques pédagogiques dont nous sommes fiers.

Le comité d’information du SEECR a pensé que la Journée mondiale des enseignantes et enseignants était le moment idéal pour relancer cette chronique des Portraits des profs! Vous aurez la chance d’en lire sept ce mois-ci. On vous le dit tout de suite, il y a de fortes chances que cette merveilleuse idée se poursuive tout au long de l’année! Il se pourrait même que quelqu’un vous contacte pour vous demander d’y participer!

Bonne découverte!

 

Entrevue avec Mélanie Arsenault, enseignante au département d’Architecture, par Myriam Litalien-Bradley

Qu’est-ce qui te plait dans l’enseignement collégial ?

Les rencontres. Tant avec les étudiantes et les étudiantes qu’avec les équipes de travail. C’est un milieu très stimulant où l’on grandit au contact des autres.

As-tu une activité pédagogique dont tu es particulièrement fière ?

Un laboratoire de croquis fait au premier cours. Les étudiantes et les étudiants reproduisent une façade de bâtiment sans avoir reçu d’instructions précises. Le cours suivant, le procédé de dessin est enseigné et les étudiantes et les étudiants le mettent en pratique sur le même bâtiment. L’amélioration est spectaculaire et la confiance monte en flèche ! Ça donne aussi de la valeur aux blocs théoriques pour tout le reste du trimestre, car leur utilité est démontrée.

Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans ton métier ?

La vitesse à laquelle évolue le domaine dans lequel j’enseigne, l’architecture. Les logiciels, la réglementation, les matériaux, les enjeux climatiques, les programmes : tout est en continuelle mouvance. Les étudiantes et les étudiants aussi changent. Ça demande énormément de temps et d’énergie pour rester à jour et pour s’adapter à tous ces changements. Par contre, ce n’est jamais monotone !

Est-ce que tu as des modèles qui t’inspirent en enseignement ?

Un enseignant qui est devenu un collègue et dont j’adorais l’enseignement : Gilbert Pelletier. Il était très coloré, efficace et il adorait sa matière. Ça rendait les cours dynamiques. Aussi, une collègue actuelle avec qui j’ai déjà donné un cours en tandem : Cateline Pelletier. C’est une excellente pédagogue, elle est rigoureuse et attentive aux autres. Je lui demande souvent conseil. Je suis bien entourée !

Quel conseil donnerais-tu à un enseignant ou une enseignante qui aborde son premier trimestre ?

Préparer l’évaluation avant de commencer à enseigner la séquence de travail évaluée. Ça ramène à l’essentiel et ça sert de guide pour gérer les imprévus et le rythme du groupe. Ça permet aussi de planifier plus d’activités d’apprentissage directement liées à la cible d’évaluation.

As-tu un cauchemar pédagogique récurrent ? Si oui, lequel ?

Je rêve parfois que les étudiantes et les étudiants se mettent à parler et à se promener dans le local de classe durant un examen. L’horreur !

 

Entrevue avec Barbara Hébert, enseignante en Technologie forestière, par Caroline Dupont

Qu’est-ce qui t’a menée vers l’enseignement collégial ?

Je suis forestière de formation, donc comme c’est le cas pour plusieurs, je suis entrée dans l’enseignement par la discipline. Un hiver où j’étais en chômage, une personne m’a mentionné que le Cégep de Rimouski cherchait quelqu’un pour donner des cours aux adultes à Matapédia. C’est comme ça que tout a commencé, autour de cette formation qui a duré deux ans. En me retrouvant ainsi en position de communicatrice, j’ai alors dû dépasser ma grande timidité d’abord, mais aussi relever rapidement le défi de bâtir un cours de 15 semaines de A à Z, tout ça à partir du titre du cours et d’un bref descriptif seulement!

À la fin de la session, un étudiant ou une étudiante a inscrit comme commentaire dans son évaluation de l’enseignement : « Ce professeur a beaucoup de potentiel ». Ça fait 30 ans et je m’en souviens encore! Je me suis alors rendu compte que mon cours n’était assurément pas parfait, mais que les étudiants sentaient que j’y mettais du cœur, que je les aimais et que j’étais engagée. Quand le doute m’assaille, je reviens à ce commentaire reçu à mes débuts pour me rappeler l’importance de développer le potentiel. Je me demande : « Qu’est-ce que je peux faire pour être un meilleur professeur? » Et d’ailleurs, on peut se demander ce qu’est un bon professeur. On ne le sait pas toujours. Pour ma part, ma référence est de me dire : « Est-ce que j’aime ça? Est-ce que je suis bien? Est-ce que j’ai hâte d’aller en classe? ».

Qu’est-ce qui te plait dans l’enseignement collégial ?

À mon avis, c’est le métier le plus complet qui soit puisqu’il est à la fois disciplinaire et qu’il implique la communication, les relations humaines. Il y a toujours eu chez moi quelque chose d’induit qui s’apparente à ce qu’on trouve dans le livre The living classroom de Christopher M. Bache, ce concept de « classe vivante ». Pour moi, la posture d’enseignante, c’est de m’effacer derrière les étudiants. Je tente de les mettre en avant pour qu’ils marchent leur chemin et j’accueille leurs rétroactions pour pouvoir m’ajuster. L’enseignement collégial m’offre à la fois le volet relationnel avec un prétexte disciplinaire, ce qui me permet d’accompagner des jeunes qui vont contribuer à leur tour au domaine de la foresterie.

Y a-t-il une activité pédagogique dont tu es particulièrement fière ?

 Je travaille actuellement à l’élaboration de la prochaine journée pédagogique et ça m’amène à faire le tour, à regarder ce que je fais. Je pense que ce qui porte les étudiants, ce qui crée un effet sur eux, c’est de leur poser des questions de coaching, des questions ouvertes qui les poussent à avoir un regard sur leur pratique, à creuser sous la surface pour développer ce qui a du sens dans ce qu’ils font. Je constate que la façon d’écouter les étudiants et de s’intéresser à eux fait toute la différence. Pour moi, le cégep est un lieu où un passage se fait, et tous ceux qui œuvrent aux côtés des étudiants sont des accompagnateurs de cœur, des modèles pour ces jeunes, même si l’on peut parfois les influencer sans le savoir. Je trouve donc important de bien jouer ce rôle, de prendre soin de la « tribu ». D’ailleurs, pour moi, le privilège d’enseigner au cégep se trouve dans la relation, dans l’aspect communautaire.

Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans ton métier ?

Je dirais que mon défi, particulièrement dans le cadre de l’accompagnement que je fais en mentorat, c’est de voir qu’un étudiant ne me semble pas à sa place ou qu’il n’est pas là pour les bonnes raisons. J’essaie alors de l’amener à ce qu’il s’autorise à faire un choix libre, qui peut parfois être à l’extérieur du cégep. Je lui demande : « Toi, dans ta vie rêvée, tu ferais quoi? ». Il m’apparaît important d’aller chercher la motivation de l’étudiant, de faire en sorte qu’il ne s’éteigne pas à cause des échecs rencontrés, d’éviter que son estime de lui s’effrite. Comme mentore, j’accompagne les étudiants dans ce cheminement. Et lorsqu’il y a de la résistance, notamment du côté des parents qui ne veulent pas que leur jeune quitte le cégep malgré sa volonté, ça peut devenir difficile pour moi émotivement puisque ça implique forcément un certain lâcher-prise.

Quels conseils donnerais-tu à un.e enseignant.e qui aborde son premier trimestre ?

Je lui dirais : « Vas-y, plonge! Expérimente et n’aie surtout pas peur de te tromper. Observe les rétroactions et ajuste-toi. Écoute les étudiants, qui vont te dire ce qui va ou ne va pas si tu leur fais de la place. N’attends pas que ce soit parfait. Fixe clairement ton objectif, puis décharge-toi de porter tout le cours sur tes épaules ».

Est-ce que tu as des modèles qui t’inspirent en enseignement ?

Annie-Claude Prud’homme, en tant que conseillère pédagogique, m’a beaucoup inspirée dans la cohérence. Il m’est arrivé à quelques reprises de l’appeler pour qu’elle me guide lorsque le côté humain dans lequel j’étais me faisait un peu perdre de vue les objectifs pédagogiques poursuivis. Quand je lui exprimais mon besoin de clarté, rapidement, elle me ramenait à l’objectif, me réalignait.

As-tu un cauchemar pédagogique récurrent ? Si oui, lequel ?

Ce n’est pas vraiment un cauchemar… En fait, ça m’arrive de rêver que je n’ai pas préparé mon cours, mais que ce n’est pas grave et que je vais savoir comment guider mon groupe. Dans mon rêve, je sais où je veux ultimement amener mes étudiants et je fais confiance, comme s’il y avait quelque chose d’extrêmement consolidé dans ma pratique. Clairement, ce n’était pas là à mes débuts! Cela dit, ça permet de voir que les choses se sont construites avec les années et que je me repose sur mes étudiants, que je sais partir d’où ils en sont pour les amener à avancer et qu’on travaillera, eux et moi, en codéveloppement. C’est un peu ça, dans mes rêves : du codéveloppement! (Rires.) Tant mieux si ça peut rassurer les jeunes profs qui liront ça!

As-tu un moment marquant de ta carrière à partager ?

En fait, il y a eu un moment clé, où la réalité est pire que le cauchemar. Il y a une quinzaine d’années, j’ai eu dans ma classe un étudiant très costaud et parlant fort qui, un matin juste avant le début d’un cours, s’est mis à engueuler vertement une étudiante dans un langage franchement inapproprié. Ce jour-là, devant le caractère imposant de l’étudiant, j’ai figé, je n’ai pas su réagir et j’ai amorcé le cours en faisant comme si rien ne s’était passé. Après coup, je me suis dit que je n’avais pas été gardienne de la sécurité dans ma classe et que plus jamais ça ne m’arriverait.

Cette situation trouble m’a amenée à considérer l’importance de créer un climat sécuritaire propice à l’apprentissage, c’est-à-dire convenu, mais relativement détendu et jovial. La timide en moi a pris confiance et a compris son rôle de gardienne de cet espace qu’est la classe, un lieu vivant. À partir de là, j’ai voulu que dans ma classe, on soit toujours en mesure de nommer les choses, d’aller à la rencontre de la résistance pour ne jamais qu’il y ait d’éléphant dans la pièce. Maintenant, s’il y a de la résistance, par exemple devant un étudiant qui ne semble pas avoir le goût d’être au cours, je vais vers lui pour tenter de voir ce qui ne va pas de manière à l’amener à choisir d’être présent pour les bonnes raisons ou de partir. Je suis donc davantage dans une posture d’accompagnement qui dépasse le fait de simplement enseigner et implique véritablement la relation pédagogique. Je souhaite reconnaitre le vivant qui se trouve à l’intérieur de mes étudiants, les accompagner aussi pour qu’ils parviennent à nommer leurs émotions. C’est important pour moi de jouer mon rôle de guide, d’accompagnatrice auprès d’eux.

Qu’aimerais-tu qu’on dise de toi au moment de ton départ à la retraite ?

C’est une drôle de question! (Rires.) Il faut que j’y réfléchisse… D’abord, il est clair que les autres sont importants pour moi, et je pense que tout part de là. Mais c’est comme si je ne voyais pas clairement le chemin que j’ai parcouru, ce qui m’a guidée… En fait, pour répondre à la question, je dirais que j’ai le désir que les étudiants s’épanouissent, comme si je créais le terreau pour permettre cet épanouissement. En tant qu’enseignante, je sens que je me trouve dans une posture de service, et c’est ce qui m’a amenée à traverser la timidité que j’avais pour arriver dans le métier et venir partager mes connaissances.

 

Entrevue avec Sébastien Richard, enseignant en Technologie du génie électrique : Réseaux et télécommunications, par Caroline Dupont

Qu’est-ce qui t’a mené vers l’enseignement collégial ?

Je viens d’un milieu où il y avait beaucoup de profs : ma mère, comme plusieurs de mes tantes, enseignait soit au primaire, soit au secondaire. De mon côté, j’ai fait mon bac en ingénierie, j’ai travaillé 10-12 ans dans le domaine, mais l’idée était toujours là d’un jour aller essayer l’enseignement. Puis, une offre est arrivée en provenance du Cégep de Matane d’abord, qui m’a permis de faire le saut vers ce nouveau métier.

Qu’est-ce qui te plait dans l’enseignement collégial ?

Dans les programmes techniques, on a la chance d’avoir les étudiants longtemps, donc de passer trois ou quatre ans avec les mêmes personnes. J’aime voir ces jeunes cheminer, se développer entre leur arrivée à 17 ou 18 ans et leur départ vers le marché du travail. Pendant ce temps, ces étudiants, qui sont dans une tranche d’âge intéressante, évoluent pour devenir véritablement des citoyens. Le fait que le cégep constitue un milieu vivant qui bouge me rejoint aussi beaucoup. On peut dire qu’on a affaire à une dynamique qui est loin d’être plate !

As-tu une activité pédagogique dont tu es particulièrement fier ?

J’aime une activité qu’on tient chaque année, où on part avec les étudiants d’un cours sur la propagation des ondes. On place une partie du groupe sur le Pic Champlain et une autre au Mont Longue-Vue sur la Réserve Rimouski, puis on fait des transmissions. Les étudiants apprennent alors à travailler concrètement avec les antennes et les transmetteurs. J’aime beaucoup pouvoir appliquer concrètement la matière vue avec les étudiants, question de rendre le tout plus intéressant.

Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans ton métier ?

Honnêtement, je trouve que les choses vont plutôt bien, qu’on a une belle vie départementale et que mes interactions avec les étudiants sont agréables, donc je ne vois pas trop de difficultés.

La charge de travail peut parfois être un peu lourde avec le besoin fréquent de se mettre à jour dans le domaine des télécommunications, mais je ne dirais pas qu’il s’agit là d’un problème.

Parmi les difficultés, je pourrais peut-être identifier les contraintes financières, au sens où on ne dispose pas forcément de toutes les ressources matérielles qui permettraient de vraiment suivre la parade en télécom., ce qui peut donc nuire à certains laboratoires.

Sinon, j’ai en tête une expérience vécue alors que je faisais du mentorat et qui m’a fait énormément de peine pour la personne concernée. En fait, il m’est arrivé de constater qu’un étudiant assidu ne parvenait pas à la réussite malgré tous les efforts investis et toutes les méthodes mises en place, comme si, de mon côté, j’étais allé au bout des ressources que je pouvais offrir à cette personne, sans résultats visibles.

Est-ce que tu as des modèles qui t’inspirent en enseignement ?

Je me rappelle un prof à l’université qui m’avait vraiment fait tripper, un prof allumé et dynamique, qui savait garder le groupe éveillé en interagissant fréquemment avec les étudiants. C’était un prof de maths qui s’appelait Luc Favreau, et il m’inspire dans ma façon d’enseigner.

Quel(s) conseils donnerais-tu à à un enseignant ou une enseignante qui aborde son premier trimestre ?

Je lui dirais : « Donne-toi le temps. Tu ne peux pas être bon dans tout dès le départ. » Je lui suggérerais aussi de se trouver un bon backup, une voie de secours, c’est-à-dire un autre emploi à côté qui permet de vivre en attendant d’avoir une tâche d’enseignement plus complète et régulière d’un trimestre à l’autre. Je ne lui cacherais pas que s’adapter au monde de l’enseignement collégial et à son fonctionnement demande beaucoup de travail compte tenu du rythme exigeant. Je lui dirais donc de prendre les choses un jour à la fois et, si c’est possible pour lui ou pour elle, de ne pas commencer avec une tâche d’enseignement à 100 % au début peut-être, malgré l’aide reçue des collègues.

Les cours sur la pédagogie de l’enseignement collégial offerts aux nouveaux enseignants sont aussi à considérer quand on commence. Pour ma part, ils m’ont donné un bon coup de main à mes débuts pour ce qui est, entre autres, de la planification. En plus de me fournir des outils concrets, ils m’ont aussi permis d’acquérir une confiance en mes moyens.

Qu’aimerais-tu qu’on dise de toi à ton départ à la retraite ?

J’ai l’impression que mes collègues diront que je suis énergique et que je parle fort… Dans ce que je fais, je ne m’attends pas non plus à changer le monde… En fait, j’estime vivre dans un très beau département où l’ambiance est bonne, et j’espère simplement qu’on me souhaitera une bonne retraite !

 

Entrevue avec Karine Bellavance, enseignante en Technologie de l’échographie médicale, par Caroline Dupont

Qu’est-ce qui t’a menée vers l’enseignement collégial ?

J’ai été technologue en imagerie médicale pendant 15 ans au CIUSSS de l’Estrie – CHUS. En tant que centre intégré universitaire de santé, cet établissement donne de la formation à des résidents et à de futurs technologues en imagerie médicale. Pour ma part, il m’est arrivé fréquemment de prendre sous mon aile des étudiants du collégial lorsqu’ils venaient à Sherbrooke pour leur stage d’un an et j’ai toujours aimé cette partie de mon travail. Au moment d’amorcer un changement de direction dans ma vie, j’ai fait des démarches et me suis retrouvée à Rimouski, au département d’échographie médicale.

C’est donc dire que je savais, avant même de plonger dans ce nouveau défi, que j’avais ce petit côté pédagogique, mais je l’ai découvert davantage en expérimentant l’enseignement sur une base plus régulière. 

Qu’est-ce qui te plait dans l’enseignement collégial ?

Ce qui me plait surtout, c’est que j’ai l’impression d’être encore dans ma profession de technologue en échographie médicale, qui implique empathie et entraide, tout en m’accomplissant du côté de l’enseignement pour que ma passion soit multipliée. Le transfert de connaissances théoriques est très important pour moi, mais le transfert de savoir-être l’est tout autant.

J’apprécie aussi beaucoup le côté humain de l’enseignement. Les étudiants m’apportent énormément et me gardent bien vivante par les échanges que j’ai quotidiennement avec eux. Le fait de côtoyer les plus jeunes générations m’amène à reconsidérer certaines de mes perceptions, ce qui est très stimulant.

As-tu une activité pédagogique dont tu es particulièrement fière ?

Ce qui fonctionne bien, ce sont les mises en situation devant lesquelles on place les étudiants à leur insu, par exemple pour illustrer ce qui fait un bon ou un mauvais technologue. On me dit que je suis une bonne actrice (rires) pour représenter des comportements inappropriés (tenue vestimentaire inadéquate, prise d’appels et commentaires en salle d’examen, etc.). Ce genre de mises en situation suscite l’intérêt des élèves et les conscientise à la nécessité du professionnalisme dans notre domaine.

L’intégration d’un portfolio à l’apprentissage des étudiants m’apparait aussi comme un bon coup puisque cet outil de suivi de la progression nous permet d’agir avant qu’il soit trop tard. Avec le portfolio qu’ils doivent compléter au fil des semaines en faisant différentes images, les étudiants sont amenés à se poser des questions qu’ils n’auraient probablement pas eues autrement, évitant ainsi que des problèmes passent sous le radar. Le tout leur enlève donc un peu de stress pour l’examen pratique.

Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans ton métier ?

Le manque de temps est ce que je trouve le plus difficile. Les sessions sont courtes pour couvrir tout le contenu à transmettre aux étudiants. J’ai beaucoup d’idées pour adapter et faire évoluer mes cours, mais souvent, par manque de temps, je dois abandonner ou remettre à plus tard des projets. 

Quels conseils donnerais-tu à à un enseignant ou une enseignante qui aborde son premier trimestre ?

Je lui dirais de se laisser porter, jusqu’à un certain point, par la vague de ses étudiants parce que c’est ce qui conduit à inventer des activités qui vont les toucher, eux. Même si cette façon de faire représente plus de travail parce qu’elle nécessite des ajustements constants d’une cohorte et d’un groupe à l’autre, elle est plus efficace et marque plus durablement les étudiants. S’il faut évidemment savoir où on s’en va, avec un plan solide, il faut quand même garder une porte ouverte sur la créativité en considérant l’apport des étudiants.

Est-ce que tu as des modèles qui t’inspirent en enseignement ?

Line Dionne, ancienne collègue, est ma mentore de prédilection. Même à la retraite, elle répond encore à mes questions et me pousse toujours à me dépasser !

As-tu un cauchemar pédagogique récurrent ? Si oui, lequel ?

Ce n’est pas un cauchemar récurrent, mais j’ai rêvé dernièrement que je perdais patience devant ma classe et que je me mettais tous mes élèves à dos. Clairement, c’est la fatigue qui a parlé à travers ce cauchemar, comme quoi un simple enjeu mineur lié à la gestion de classe (ici, le placotage de certains élèves) peut parfois nous habiter jusque dans le sommeil !

As-tu un moment marquant de ta carrière à partager ?

L’été dernier, j’ai assisté avec mes collègues à l’assermentation de nos étudiantes. Alors que j’ai souvent l’impression d’être la sévère de l’équipe, celle qui montre les choses de façon rigide, notamment en matière d’ergonomie, puisque je sais ce qui attend les élèves sur le marché du travail, j’ai reçu, lors de cette assermentation, un beau témoignage de la part des étudiantes. Elles étaient contentes de notre travail et ont terminé leur intervention avec un : « Karine, on t’aime ! ». Visiblement, elles avaient compris l’importance de ce qu’on fait pour les futures technologues qu’elles vont devenir.

J’apprécie aussi tous ces petits moments partagés avec les étudiants où je réussis à désamorcer une situation difficile ou à faire en sorte qu’un déclic s’opère chez eux.

Qu’aimerais-tu qu’on dise de toi au moment de ton départ à la retraite ?

J’aimerais qu’on dise de moi que j’étais à l’écoute, que je me suis toujours investie à 100 %, sans compter les heures. Je n’ai pas besoin de reconnaissance sur la place publique, mais j’aimerais qu’on se souvienne de mon implication et de mon désir de transmettre ma passion aux étudiants en leur permettant de se développer.

 

Entrevue avec Nathalie Pelletier, enseignante au département de Français, par Julie McDermott

Qu'est-ce qui t'a mené vers l'enseignement collégial?

Petite, j'étais littéralement un rat de bibliothèque, c'était écrit dans le ciel ! Je viens d'une petite place qui s'appelle Saint-Pascal et ce n'était pas long, faire le tour de la bibliothèque ! Je lisais énormément et j'étais même parfois tutrice pour des cousins ou cousines. Je leur expliquais les participes passés, leur faisais faire des dictées. Je crois que j'avais déjà ça en moi ! Mon père était enseignant en biologie, puis ma mère était dans le domaine de l'administration, alors je ne sais pas trop d’où ça vient, mais c'était profondément ancré. Je suis de nature introvertie, alors il n’y a rien qui me destinait à ça. Par contre, mon père m'a déjà dit qu’il avait choisi l'enseignement pour vaincre sa timidité ! La recherche ne m'intéressait pas beaucoup, puis quand j'ai fait de l'assistance à l'enseignement, c'est là où j'ai eu la piqûre. Finalement, j'ai décidé que l'enseignement collégial, pour la proximité avec l'élève, m’allait mieux. Je pense que j'ai pris le choix qui convenait le mieux à ma personnalité.

Qu’est-ce qui te plait, justement, dans l’enseignement collégial?

C’est cette proximité avec les élèves, qui n'était pas si naturelle chez moi à cause de mon côté introverti, justement. Je l'ai développé avec le fait d'avoir eu trois enfants, je pense que ça m'a rendu une meilleure enseignante. J'ai tous les spectres dans ma famille! J'ai un enfant qui est à la maîtrise, un autre qui a fait un DEP, puis le dernier a fait un DEC. On pourrait parler d’une large perspective, de « je suis très bon à l'école et j'aime ça » à « je ne veux rien savoir ». Ça m'a rendu très sensible et j'oserais même dire, un peu moins élitiste ! Je le dis en toute humilité, lorsque j'ai commencé ma carrière, je portais un jugement plus sévère sur les élèves qui rencontraient des difficultés. Je les aidais quand même, mais aujourd’hui, je comprends qu’on n’est pas tous bons dans les mêmes choses. Je pense que ça m’a pris des enfants pour éclairer certaines facettes de mon enseignement. Il y en a plein dans ma classe qui sont comme mon fils, qui ont toujours détesté l'école, puis qui sont probablement très bons dans leur programme. Ils existent ces élèves-là, c'est peut-être même la majorité des gens auxquels on enseigne. Mon fils le plus jeune, lui, a fait son DEC ici, en génie civil, et je lui ai enseigné. Je lui demandais d’être critique. Ils ont un regard différent de nous, mais peu osent nous dire vraiment ce qu’ils pensent. Lui, il me disait : « là tu penses que c'est drôle, mais c'est pas drôle ! » Ça fait 28 ans que j'enseigne, alors je sens parfois le fossé des générations!

Y a-t-il une activité pédagogique dont tu es particulièrement fière?

Quelques-unes, quand même ! Je passe beaucoup de temps avec eux, en petits ateliers, où je fais un peu de création littéraire… pas autant que je voudrais, mais bon ! Je suis le plan-cadre et la marge de manœuvre est parfois mince. Sinon, je pense que j'ai été une des premières à faire une dissertation avec erreurs. Ils doivent trouver les erreurs selon les trois critères qu'on utilise. Avec la permission de certains élèves, j'avais pris différents modèles pour en faire un avec des erreurs récurrentes. Pour des élèves qui sont en grande difficulté – je n'aime pas dire faibles - ça fonctionne moins bien. Mais pour ceux qui sont dans la moyenne ou plus forts, il y a plein de choses qui s'éclairent. Je fais aussi une dissertation en groupe. Je m'assois au clavier puis on fait, par exemple, un sujet amené ensemble. Ils participent, puis ils s’aperçoivent que c’est moins dur que ça en a l’air. Ça demande une attention soutenue du prof, c'est en direct et ça change avec chaque groupe, mais en général ça fonctionne bien.

Quels conseils donnerais-tu à un enseignant ou une enseignante qui aborde son premier trimestre?

Je leur dirais… attention ! J'avais facilement le bras dans l'engrenage, moi. J'avais de bonnes intentions en début de session, je me disais : « Nathalie, il ne faut pas que tu te laisses happer par le travail ». Mais ce n'est pas facile! Je consacre beaucoup de temps à mon travail, je suis très rigoureuse, je veux que les élèves progressent alors j'annote beaucoup, tout en m’en tenant au délai de deux semaines. J'en fais un point d'honneur ! Cela fait en sorte que j'ai corrigé beaucoup le soir et la fin de semaine. Alors, je pense qu’il faut se mettre des balises et s’obliger à prendre des pauses. Mon travail est important, mais il ne doit pas prendre toute la place. On y revient toujours, mais pour ce qui est de la conciliation travail-famille, plusieurs en arrachent. Il faut parfois se remettre en question et se demander : « est-ce que je suis en train de saccager une portion de ma vie, est-ce que tout ça est nécessaire? » Même après 28 ans, je me ramène encore régulièrement à l'ordre, même si j'ai plus de temps. Les enfants ont quitté la maison mais, malgré cela, on en prend un peu plus ailleurs, un petit comité par-ci ou par-là. Un autre conseil serait de se donner le droit à l'erreur. On veut être parfait en classe. Je dis souvent aux jeunes profs qu’il faut accepter de ne pas avoir la réponse. Parfois, on a un peu l'impression de perdre la face devant un groupe. On ne veut pas avoir l'air de quelqu'un qui ne maîtrise pas totalement sa matière, mais il faut admettre qu’on ne sait pas tout. Ça nous rend plus humains auprès des élèves !

Parlant de perdre la face, as-tu un cauchemar pédagogique récurrent ?

La semaine avant de commencer la session, je rêve souvent que j'arrive en pantoufle ou en pyjama ! Ou alors je suis dans un collège que je connais très bien, le cégep ici, mais je ne m'y retrouve pas. Je sais où aller, mais quand j'arrive, ça a changé, je suis comme dans un autre cégep ! Eh oui, encore, après tout ce temps ! J’avais déjà demandé à d’anciens collègues, comme Lucien Cimon, si ça arrête un jour le stress avant le début de cours. Il m’a dit : « Nathalie, fais-toi une idée, ça n’arrêtera pas ! ».

Je ne sais pas combien d'années il reste avant ta retraite, mais de quoi voudrais-tu qu’on se souvienne quand tu vas quitter l’enseignement ?

Il me reste à peu près 5 ans !  Je pense que je suis quelqu'un qui persévère et qui a une grande rigueur. Je pense que je suis une référence, je partage beaucoup, je suis généreuse, par exemple, je partage mes recueils. J'espère que mes collèges vont se souvenir de moi pour les avoir aidés. Je n’ai pas eu cette chance au début, quand j'ai commencé. J'avais un enfant de 11 mois, c’étaient des conditions extrêmement pénibles. Je n'ai pas eu cette chance d'avoir du monde qui veille sur moi. À l'époque, c'était chacun pour soi. Même ceux qu'on remplaçait nous fournissaient le minimum. Je pense que ça a changé, la culture, maintenant on partage plus. Je suis mentore aussi, mais peu importe si c'est le prof dont je suis la mentore ou non, si quelqu'un vient cogner à ma porte, je prends le temps de lui répondre et je lui partage plein de choses.

J’aimerais aussi qu’on se rappelle mon implication au sein du département. J'ai été coordonnatrice juste après Jean Simard, qui a fait ça pendant 25 ans. Personne ne voulait prendre le poste, on avait peur, car c'est une charge lourde dans notre département. À l'époque où je l'ai fait, j'avais encore les trois enfants à la maison, j'avais 40 ans à peine, puis je me suis lancée. Ça a ouvert la porte ensuite à d'autres. Maintenant, on assume la coordination en tandem. Je n'ai jamais pris de congé jusqu'à récemment, pendant la pandémie, parce que j'étais « à bout » de zoom ! J’ai pris un congé différé. Sinon, j'ai toujours été à temps complet! Donc j’espère qu’ils vont se souvenir d’une certaine part de courage ! Je suis très déterminée. Pour mes élèves aussi, je suis quelqu'un qui est très disponible. J’ai souvent référé des élèves aux ressources qu'on a dans le collège. Bref, je pense que je suis une personne-ressource, pour les élèves et pour mes collègues.

Je veux partir à la retraite pendant que j’ai encore la flamme, tu sais, ne pas attendre d'être blasée ! Même les jours où ça ne me tente pas, les élèves ont droit au meilleur de moi-même. C'est ce que je vais leur donner aujourd'hui et jusqu'à la fin ! Je veux partir sur une bonne note !

 

Entrevue avec Rodolphe Giorgis, enseignant au département de Philosophie, par Julie McDermott

Qu’est-ce qui t’a mené vers l’enseignement collégial ?

J’ai fait mon bac en philo et ensuite ma maîtrise, avec comme objectif d’aller vers l’enseignement. Disons qu’en philosophie, les opportunités d’emploi, c’était soit enseignant ou conseiller en éthique. Pendant le bac, j’ai commencé à avoir des occasions de toucher un peu à l’enseignement, notamment en faisant de l’auxiliariat pour ma directrice de maîtrise et j’ai vraiment aimé ça : être au contact des étudiants et étudiantes. J’animais des ateliers de soutien. J’ai aussi été prof de langue seconde en français. Je me suis aperçu que j’aimais beaucoup le domaine de la pédagogie. Pour ce qui est de la philo, c’est sûr que c’est exclu de l’enseigner au secondaire et ça ne me tentait pas trop de devenir prof à l’université. Donc le collégial s’est quand même imposé comme un endroit parfait où enseigner la philosophie. J’ai découvert le Cégep, ça n’existe pas en France. Une sorte d’entre-deux, une étape qui fait l’intermédiaire entre le secondaire et l’université. J’ai trouvé ça vraiment cool !

 Justement, qu’est-ce qui te plaît dans l’enseignement collégial ?

D’un côté, pour les personnes qui veulent aller à l’université, c’est un bon intermédiaire pour ces personnes-là. Entre le secondaire et l’université, il y a quand même un degré d’indépendance qui est beaucoup plus grand. Tu sais, à l’université, on s’attend à ce que tu fasses les choses par toi-même. Alors qu’au secondaire, il y a parfois une relation de suivi assez proche, voire de contrôle continu des connaissances. Au Cégep, on aide à faire cette transition-là. Et pour les personnes qui ne vont pas à l’université, ça donne quand même un accès à l’enseignement postsecondaire, pour aller vers un domaine professionnel.

J’aime le fait que ce soit des gens plus jeunes que dans mes emplois précédents, où j’enseignais plus à des adultes, soit des personnes qui venaient d’immigrer au Québec et qui ne connaissaient pas la langue. Créer le lien avec des personnes plus jeunes, c’est un autre défi. Je viens juste d’avoir 30 ans, mais il y a quand même un écart de presque 13 ans avec les plus jeunes. Mine de rien, ça paraît ! Ne serait-ce que dans le rapport au réel qui n’est pas le même. De plus, c’est la génération qui a traversé les mesures contre la COVID pendant son secondaire. Clairement, avec eux, je n’ai pas le même rapport au réel !

Est-ce qu’il y a une activité pédagogique dont tu es particulièrement fier ?

Oui, dans le cours de philo 3, éthique et politique, que j’ai donné en session intensive l’été dernier, à Saint-Hyacinthe. Il y avait un premier axe qui est plutôt une introduction très générale à ce qu’est la philosophie politique. Ensuite, j’expliquais les modèles principaux aujourd’hui, surtout autour du libéralisme et de ses variantes. J’abordais la scission entre révolutionnaires et réformistes. Alors, j’ai fait écouter un film assez récent, et en plus bien réalisé, qui s’appelle The Trial of the Chicago 7, qui raconte l’histoire vraie d’une manifestation qui a eu lieu pour mettre fin à la guerre du Vietnam, à Chicago, à la fin des années 60. Le film traite de cette relation-là entre réformistes et révolutionnaires, car au tribunal, au banc des accusés, il y a des personnes qui sont plutôt réformistes, qui sont critiques du capitalisme et du libéralisme, parce qu’il est en train de devenir hégémonique aux États-Unis, mais qui veulent le changer à travers les institutions. Et il y en a d’autres qui sont plutôt des anarchistes, des communistes révolutionnaires qui, eux, vont voir la révolution et le syndicalisme libertaire comme des moyens d’action à privilégier. Le film montre bien la relation et les conflits qu’il y a entre ces personnages. Les étudiantes et étudiants répondent à un questionnaire à la suite du visionnement. Quand j’ai décidé de faire cela, j’étais un peu sceptique, je me disais que j’allais peut-être un peu loin et je craignais que les étudiantes et étudiants ne comprennent pas. Finalement, en lisant les réponses, j’étais vraiment satisfait. Ils avaient bien compris et ils sont même allés plus loin dans leurs analyses que ce à quoi je m’attendais. J’ai vraiment tripé sur cette activité et je compte la refaire cette année. J’ai hâte de voir si dans un cours régulier (pas en intensif), on va arriver au même résultat. Bref, c’est intéressant d’utiliser le cinéma pour parler de philosophie et de politique !

Quel conseil donnerais-tu à un enseignant qui aborde sa première session ?

Bon, je ne sais pas, je suis moi-même assez nouveau. Ma première session, c’était il y a à peine un an ! À quel point ai-je du recul sur mon expérience ? En tout cas, je leur dirais d’être à l’écoute des collègues ! Ce sont des gens qui ont vraiment beaucoup de conseils pertinents. Moi, sans eux, ç’aurait été un fiasco ! J’ai eu vraiment beaucoup de chance, tout le monde a été super ouvert à m’aider, à me donner des ressources, à être là pour moi. Sans leurs conseils avisés, j’aurais galéré pas mal plus !

Je dirais aussi de profiter de l’expérience d’être devant de jeunes personnes qui sont, la grosse majorité du temps, ouverts à apprendre. J’ai aussi beaucoup appris à leur contact. Que ce soit la différence générationnelle ou même sur la discipline, je me rendais compte qu’il y avait des activités que j’échappais, ça me permettait de m’ajuster. Et à l’inverse, sur certains trucs, je n’étais pas sûr que ça allait fonctionner et finalement je voyais un grand intérêt et une capacité à comprendre. Alors il ne faut pas seulement les voir comme des récepteurs de savoir, mais vraiment comme une communauté d’apprentissage. On progresse ensemble, on apprend ensemble. Je me suis planté plus d’une fois, j’ai dit des niaiseries, puis je m’en rendais compte. C’est correct de le dire aussi, ça aide à ce qu’ils voient moins la relation comme étant uniquement hiérarchique. « Tu sais, je me suis trompé, la semaine dernière j’ai hésité, ou j’étais un peu dans le champ, merci de m’avoir orienté là-dessus ! »

 As-tu un cauchemar pédagogique récurrent ? Lequel ?

Le silence… Souvent, je leur envoie la balle, je leur demande ce qu’ils en pensent, j’essaie de susciter des discussions. Si ça restait vraiment complètement silencieux pendant un cours ou pendant une session, ça me ferait vraiment peur ! Ce n’est pas encore arrivé, je touche du bois ! Même dans les groupes les plus silencieux ou les moins motivés, il y a toujours au moins 3 ou 4 étudiants qui vont quand même parler. Mais tomber sur un groupe où il n’y en a aucun, et avoir l’impression de juste parler tout seul pendant une session, ce serait l’angoisse pour moi.

 

Entrevue avec Édith Thériault, enseignante en soins infirmiers, par Marie-Josée Boudreau

Rencontrer Édith Thériault, c’est faire la connaissance d’une femme dynamique, engagée et sensible. J’ai eu envie de la faire parler de son enseignement parce que je l’ai remarquée de multiples fois en réunion, en assemblée, défendant son Département et ses étudiants et étudiantes, à qui elle semble très attachée. J’ignorais, par contre, qu’elle était si humble : elle m’a répété à plusieurs reprises qu’elle n’était pas certaine d’être la bonne personne pour donner des conseils et qu’elle n’était pas sûre que ses réponses valent la peine d’être lues. Oui, Édith, tes réponses valent la peine d’être entendues. Moi, en tous cas, elles m’ont inspirée en m’aidant à me recentrer sur ce qui est vraiment important : nos étudiants et étudiantes.

Nom : Édith Thériault

Enseignante en Soins infirmiers depuis 1999.

Pourquoi as-tu choisi l’enseignement collégial ? 

J’ai fait mon cours ici. Je suis diplômée du Cégep de Rimouski en 88. Dès les premières semaines, je me suis dit : « J’aimerais ça, plus tard, dans ma carrière, enseigner. » J’avais 16 ans. Je suis partie 10 ans à Québec et un jour, mon oncle qui enseignait en TTS, Jacques Savard, m’a dit que c’était le temps, que le cégep cherchait des profs. Je ne pensais pas que ça arriverait si tôt. J’étais installée, j’avais mon poste d’infirmière et trois enfants, mais j’ai décidé de profiter de l’opportunité que me donnait mon congé de maternité pour prendre un congé sans solde et déménager ma famille à Rimouski pour devenir enseignante.

Est-ce qu’il y a des moments où tu as regretté ton choix ?

Jamais !

Qu’est-ce qui te plait (et qui t’attirait déjà quand tu étais étudiante) dans le métier d’enseignante ?

Transmettre sa passion à des jeunes qui commencent dans la profession ! J’ai beaucoup aimé être infirmière, alors le communiquer à des jeunes, voir des étincelles dans leurs yeux, j’aime ça.  C'est un privilège d'être témoin et de contribuer, un tant soit peu, à « l'éclosion » de jeunes adultes en devenir, à la formation de la relève. C’est pour ça que ça fait des années que j’enseigne en première année. J’aime ça, les accompagner. C’est ça le plus important : le contact avec les élèves.

Qu’est-ce que tu trouves le plus difficile dans ton métier ?

L’alourdissement de la tâche à cause de tout ce qu’on nous demande autour : les comités, les réunions, les sondages, la reddition de comptes, les nombreux courriels et messages. Je trouve ça très difficile. C’est certain qu’on a plus d’élèves en difficulté, mais c’est tout ce qu’il y a autour, qui est lourd.

Qu’est-ce que tu fais pour ne pas que ça t’atteigne ?

J’essaie d’épurer et de me concentrer sur l’essentiel.

Est-ce que tu as des modèles qui t’ont inspirée, en enseignement ?

Certainement Noëlla Savard, une enseignante avec qui j’ai collaboré treize ans. Elle m’a inculqué la rigueur, l’éthique de travail, la bienveillance envers les étudiants et étudiantes. Malgré la rigueur et les exigences, il faut rester bienveillant. Je pourrais t’en nommer plein, on a une belle relève inspirante. Il y a aussi Gina Lévesque, une personne droite, intègre, rigoureuse.

Qu’aimerais-tu qu’on dise de toi à ton départ à la retraite ? (notez qu’Édith était très gênée par cette question, puisque ce départ n’est pas si lointain - il a fallu insister un peu, elle ne voulait pas avoir l’air de se vanter)

Je pense qu’on dira que je suis quelqu’un de rigoureux, une personne rassembleuse. J’aimerais qu’on se souvienne de moi comme quelqu’un d’intègre. Une personne d’équipe.

As-tu des moments marquants de ta carrière à nous partager?

J’ai plein de beaux moments avec mes élèves, mais je pense à deux moments qui sont plus des accomplissements collectifs. Premièrement, le déménagement de notre programme du D au F parce que ça a été un gros travail d’équipe et une belle collaboration entre les différents services. Ça nous a amenés à changer notre façon d’enseigner et de donner les laboratoires. Le deuxième, c’est en 2022, quand on a reçu le colloque de l’AEESICQ. C’était la première fois qu’il se donnait à Rimouski en plus de trente ans. On était plus de trois cents. C’était un gros défi, mais c’était un projet rassembleur dans le Département.

Ça revient beaucoup dans ton parcours, le travail d’équipe.

Oui, parce que c’est vraiment essentiel.

Quels conseils donnerais-tu à un.e enseignant.e qui aborde son premier trimestre ?

Se centrer sur l’élève. Être bien préparé. Établir un bon lien de confiance avec les élèves. Être indulgent avec soi-même et se donner du temps. Ça prend du temps, apprendre à enseigner. Demander conseil aux membres de son équipe. Pis prendre ça un jour à la fois quand la tâche donne le vertige. Une demi-journée à la fois, si une journée c’est trop.

 

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Notes

[1] ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, La pénurie mondiale d'enseignants menace la qualité de l'offre éducative, indique un rapport de l'UNESCO et du BIT, octobre 2022 [en ligne] https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/newsroom/news/WCMS_008391/lang--fr/index.htm#:~:text=PARIS%2FGEN%C3%88VE%20%28Nouvelles%20du%20BIT%29%20-%20La%20croissance%20continue,Journ%C3%A9e%20mondiale%20des%20enseignants%2C%20c%C3%A9l%C3%A9br%C3%A9e%20ce%205%20octobre.

[2] SUZANNE-G. CHARTRAND ET MARIE-CHRISTINE PARET, Pénurie d’enseignants. Briser le cercle vicieux, dans La Presse, 6 mars 2023 [en ligne] https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2023-03-06/penurie-d-enseignants/briser-le-cercle-vicieux.php

[3] ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL, op. cit.

[4] SUZANNE-G. CHARTRAND ET MARIE-CHRISTINE PARET, op. cit.