Celles et ceux qui m’ont croisé au fil des trois dernières années savent que je ne corresponds pas vraiment à l’image du syndicaliste batailleur, celui qui cogne du poing sur la table, déclare la grève à la manière de Mel Gibson dans Brave Heart et sort la bonne clause au bon moment en décodant un projet de répartition des ressources comme Néo perçoit la matrice. Mais ce que j’ai compris au fil des trois dernières années, c’est qu’on peut animer un syndicat dans un cégep qui carbure aux urgences sans nécessairement passer par là. Du calme en pleine turbulence, de l’écoute sincère, une volonté de trouver des voies de passage et, autant que possible, une capacité à trouver un brin de plaisir dans le quotidien parfois bordélique, ça peut aussi fonctionner.
Je ne sais pas exactement à quel moment c’est devenu aussi prenant, c’te mandat-là. Peut-être qu’au premier courriel d’un collègue en beau maudit, j’ai catché que ça serait tout sauf simple. Possiblement quand je me suis retrouvé dans une instance d’alliance de profs qui envisageaient la négo à venir à la fois avec méfiance et enthousiasme, j’ai mesuré l’ampleur d’la patente. Ou quand, à la première AG, j’ai senti qu’on tenait quelque chose ensemble, pour vrai. Dur à dire.
Je pense que ces trois dernières années, j’ai vécu ce que je me souhaitais en prenant la coordination du SEECR : être entier sans m’emporter, m’engager sans m’enrager, aider sans nuire. Dans un rôle qui appelle souvent la confrontation, ça reste que c’est drainant, comme posture. Tandis que remblayer les fossés, ça atténue les frontières. Et ça m’a permis de mettre mes couleurs, j’ai l’impression. Même quand les défis s’empilaient comme des corrections en fin de session, j’ai tenu à rester lucide sur nos rapports de force. Et à faire les choses à ma manière, avec un souci wanna be constant de la nuance, de l’écoute et de la cohérence, ç'a apporté du bon. Parce que garder la tête froide, c’était aussi une façon de protéger notre monde. De ne pas ajouter à l’épuisement ambiant. De défendre fort, mais sans s’oublier soi-même.
Mais évidemment que j’ai douté de moi. Me suis trouvé poche par grands bouts. Pas assez fâché, trop sur mes gardes, pas suffisamment conciliant, trop patient, pas assez flamboyant, trop crédule. Impossible d’accoter toutes les attentes : des fois ça colle, d’autres fois moins. Je n’ai pas la prétention d’avoir fait des miracles, pour être ben honnête. J’ai plutôt mis les mains dedans, me suis investi autant que je le pouvais, comme je le pouvais. Dans les courriels interminables, les horaires impraticables, les politiques brumeuses. Dans les instances qui finissent par ressembler à une deuxième job, aux déplacements qui te donnent l’impression de vivre dans tes bagages pendant quelques saisons. Et à travers tout ça, en jouant sur la fine ligne de la rigueur sans rigidité, de la mobilisation sans déchirer sa chemise pour rien et de la solidarité sans slogans vides.
Les défis, on les a accumulés comme les post-its sur le coin d’un écran : négociation nationale, coupures, pressions des pairs, épuisement professionnel, pénurie de main d’œuvre, réforme du financement, contraintes administratives, name it. À chaque fois, il a fallu évaluer, doser, choisir nos combats, canaliser nos énergies. Puis, il y a eu toutes ces petites choses qui ne font pas la une, mais qui font toute la différence. Accompagner une collègue dans une démarche difficile. Appuyer discrètement une demande raisonnable. Tenir à jour les dossiers, répondre aux courriels (même les longs), organiser les AG, arriver à prévenir des litiges, préparer les mandats de grève, recoller les morceaux après un conflit, s’asseoir pour jaser pis se lever quand c’est le temps, se gérer entre nous autres.
N'empêche, ces trois dernières années, je trouve qu’on a bâti et entretenu des choses solides : une communication transparente (La Riposte, nos infolettres, nos espaces d’échanges). Une culture du respect dans nos désaccords. Une façon d’être ensemble, même quand ce n’était pas simple. On a su garder vivante la mobilisation malgré la fatigue, malgré le cynisme ambiant. On a tenu bon dans les négos. On est sorti dans la rue quand il le fallait, malgré le frette, malgré les contre-coups. Et on l’a fait sans perdre de vue ce qu’on défendait : pas juste un salaire ou une tâche, mais une vision du travail collégial où l’humain (le prof comme l’étudiant) reste au centre. On a continué de remettre les pendules à l’heure quand les règles étaient bafouées. On a défendu des collègues qui doutaient, épuisés ou isolés, qui ne se sentaient plus bien dans leur job. On a fait exister la parole des profs dans les lieux où on aurait préféré ne pas l’entendre.
J’ai essayé d’occuper ce rôle à ma manière. Sans tambour ni tentative d’être le héros de l’histoire. Orienter sans diriger, mettons. Avec constance, avec nuance, avec vigilance. Avec beaucoup-beaucoup d’humilité, je dirais. Avec un certain humour aussi, pour ne pas sombrer dans le sérieux de fin de monde qui accompagne parfois la machine institutionnelle pis le grand désarroi qu’elle peut générer.
Merci à celles et ceux qui sont allés sur le terrain avec moi, qui se sont pointés sur mon chemin. À l’exécutif, aux comités, aux collègues qui ont pris le téléphone ou écrit un mot quand c’était nécessaire. À toutes celles et ceux qui, au quotidien, ont refusé de céder au découragement et à ceux et celles qui nous partageaient le leur. On dit que le syndicalisme, c’est une affaire de luttes. C’est vrai. Mais c’est aussi, profondément, une affaire de liens