Le mouvement syndical est généralement en bonne santé au Québec. En effet, selon une étude du Ministère du Travail parue en juin 2022, c’est près de 40% des milieux de travail qui sont syndiqués1 dans la Belle Province. Il s’agit effectivement du taux de syndicalisation le plus élevé depuis 2012. Quoi qu’il en soit, rien n’est acquis en la matière et il existe encore des entreprises mécréantes qui n’hésiteront pas à fermer boutique au lieu de créer un précédent en permettant l’association syndicale de leurs personnes employées.
Walmart: un pionnier en la matière
Dans l’ère moderne du Québec, c’est le géant américain du commerce de détail Walmart qui lance les hostilités en 2005 avec la fermeture sauvage de son établissement de Jonquière alors que les employés venaient de joindre l’accréditation des Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC) l’année précédente. En réaction, et pour éviter que cet état de fait ne donne des idées à d’autres établissements de la bannière, la direction de Walmart a simplement décidé mettre la clé sous la porte et de forcer la mise à pied de ses 200 personnes employées pour aucune autre raison légitime.
Afin de contester cette fermeture, un grief a été déposé en vertu de l’article 59 du Code du travail. Cet article prévoit notamment que l’employeur ne peut pas modifier les conditions de travail de ses employés pendant la période comprise entre le dépôt d’une requête en accréditation syndicale et la conclusion d’une convention collective ou l’exercice du droit de grève ou de lockout.
La saga judiciaire a été longue et parsemée d’embûches, se rendant même en Cour suprême pour une ultime décision en 2014. Le juge Lebel, principal rédacteur, évoque que l’article 59 du Code du travail doit non seulement favoriser la mise en œuvre du droit d’association, mais également permettre la négociation de la convention collective et non pas exclusivement assurer l’équilibre entre les parties. Il affirme également que le maintien du lien d’emploi constitue une condition de travail et que cette condition est implicitement intégrée à tout contrat de travail. Les personnes employées ne pouvaient donc pas prévoir cette rupture puisqu’aucune circonstance légale ne l’autorisait. En effet, Walmart n’a pas su justifier sa décision de fermer son établissement autrement que par le fait de la présence d’une accréditation syndicale en son sein. Il a donc été jugé raisonnable de conclure que cette mise à pied collective contrevenait bel et bien à l’article 59.
Il ne me fut malheureusement pas possible de voir quelles sanctions ont été imposées à Walmart pour cet acte déshonorable, mais elles consistent probablement en versements d’indemnités et de dommages pour la partie lésée. Pour sa part, Walmart s’est dit « déçu » de la décision. Le magasin n’a par ailleurs jamais rouvert ses portes à Jonquière…
Quand Amazon joint de mouvement
Plus récemment, en janvier 2025, un autre géant américain réagissait possiblement à une tentative de syndicalisation de son personnel en fermant subitement 7 établissements au Québec. Cet avis de licenciement collectif a touché près de 1900 emplois directs et pas moins de 2700 emplois indirects en ce qui concerne des entreprises associées à la plateforme de vente en ligne, principalement des partenaires de livraison. On évalue donc les pertes d’emploi à environ 4500 au total.
L’entreprise évoque une « révision récente de ses opérations québécoises » pour justifier cette fermeture, mais il est difficile de ne pas considérer la syndicalisation du personnel de l’un de ses entrepôts de Laval en mai 2024. Amazon avait d’ailleurs tenté de contester cette accréditation à l’automne dernier, désirant ainsi s’éviter la négociation de la convention collective de ses personnes employées nouvellement syndiquées. Ce faisant, elle a pu échapper au décret touchant Walmart puisque ces négociations n’avaient pas encore été entamées.
Dommage qu’une entreprise évaluée à plus de 2000 milliards de dollars américain ne soit pas en mesure de rémunérer son personnel à sa juste valeur tout en leur offrant des conditions de travail décentes…
Le gouvernement est là pour nous protéger
Pas vraiment non. Comme l’arrêt Saskatchewan est désormais systématiquement évoqué lorsque l'employeur-législateur dépose un décret (désormais jugé anticonstitutionnel) pour forcer les employés de la fonction publique à cesser leurs moyens de pression, l'État-employeur a utilisé un nouveau moyen d’agir : l’imposition de l’arbitrage exécutoire comme dans le cadre des conflits de travail dans ports fédéraux et chez Postes Canada.
Qui plus est, le ministre de Travail Jean Boulet vient de déposer le 19 février dernier le projet de loi 89 : Loi visant à considérer davantage les besoins de la population en cas de grève ou de lock-out. Cette nouvelle disposition, chaudement accueillie par le Conseil du patronat du Québec, est supposée être un rempart contre « la prise en otage de la population » dans le cadre des négociations dans tous les secteurs où la notion de « services essentiels » sera élargie pour mieux servir les desseins du gouvernement et ainsi « faire cesser les préjudices envers la population ». Êtes-vous rassurés? Avez-vous hâte de tester cette limite en 2028?
Au Québec, c’est près de 5 millions de travailleuses et de travailleurs qui paieront assurément les frais de cette nouvelle philosophie autoritaire et coercitive imposée par la CAQ. Le geste est tout simplement grossier. Personne ne se mobilise pour tenir la population en otage. Nous exerçons notre droit de grève parce que le gouvernement refuse obstinément les pourparlers de bonne foi entre les rondes de négociation et qu’il nous pousse lui-même dans nos derniers retranchements.
Qu’en est-il du mouvement syndical?
Ça n’a pas fait autant de vagues dans les médias, mais nous venons d’apprendre que la demande de révision judiciaire, déposée par le gouvernement, touchant le grief de la FEC-CSQ déposé dans le cadre des négociations des secteurs publics et parapublics en 2023 a été rejetée. Le grief contestait la directive de nos directions nous demandant de reprendre les activités pédagogiques manquées en raison de l’exercice du droit de grève à même nos 173 heures de disponibilité. C’est donc dire que nous recouvrons pleinement notre principal moyen de pression et qu’il ne sera plus possible pour nos directions de nous imposer ces mesures de reprises qui venaient, on se le dira, saper notre droit constitutionnel.
Comme vous le voyez, la prochaine ronde de négociation risque d’être intéressante, du moins d’un point de vue légal, où les deux parties auront de nouveaux outils à leur disposition pour faire valoir leurs droits. Il nous appartient de bien fourbir nos armes et de considérer un changement radical de la stratégie si l’on souhaite une réforme plus en profondeur du milieu de l’enseignement supérieur. La question est par ailleurs soulevée par les principales centrales syndicales du Québec qui tiendront sous peu des états généraux sur le syndicalisme afin de repenser notre modèle de représentativité ainsi que les moyens à mettre en place pour faire entendre nos intérêts.
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Notes
1Direction des études et de l'information sur le travail, La présence syndicale au Québec et au Canada en 2021, Ministère du Travail, juin 2022. [En ligne] https://www.travail.gouv.qc.ca/fileadmin/fichiers/Documents/presence_syndicale/STAT_presence-syndicale_qc-cda-2021_MTRAV.pdf