Le 22 novembre dernier, lors de la rencontre du comité d’information, j’ai proposé d’écrire un texte résumant l’histoire de la loi 37 qui encadre la négociation des secteurs public et parapublic québécois. Fort heureusement pour moi, le journal PRESSE-TOI À GAUCHE! est venu à mon secours quatre jours plus tard en publiant cet article très intéressant qui ne saurait mieux résumer le sujet. Le voici donc dans son intégralité (hormis quelques corrections grammaticales). Merci, monsieur Perrier, ma santé mentale vous salue bien bas!
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Une petite histoire des lois du travail et des lois spéciales : régime de négociation factice et services essentiels (de 1985-1986 à 1999)
Mardi 19 septembre 2023 / DE : Yvan Perrier
Sans entrer dans les détails de la loi 37, mentionnons seulement qu’elle confirme le rôle du Conseil du trésor lors des négociations entre l’État et les salariés des secteurs public et parapublic. Lui seul est en mesure d’autoriser les mandats de négociation des comités patronaux.
La répartition des matières négociables entre le niveau provincial et les autres (régional et local) est indiquée dans la loi. Les matières négociables au niveau provincial sont substantiellement réduites. Un nouveau mode de détermination des salaires et des échelles de salaires est établi. Ces matières sont négociables pour la première année des conventions collectives seulement; en ce qui a trait aux deux autres années, la loi prévoit qu’elles seront fixées par règlement.
La loi 37 modifie le Code du travail en matière de services essentiels. Elle précise le pourcentage de salariés à maintenir par quart de travail (ce pourcentage varie de 55 à 90 % selon les services des établissements hospitaliers, de santé et de services sociaux[1]). Les décisions du Conseil des services essentiels sont impératives. Le Conseil peut ordonner de faire ou interdire de faire quelque chose à toute personne. Aucune grève n’est possible dans les établissements où il n’existe pas de listes approuvées par le Conseil des services essentiels. Le droit de grève s’obtient vingt jours après le dépôt du rapport du médiateur, et il est interdit sur les matières négociées et conclues aux niveaux local et régional. Pour ce qui est des salaires, le droit de grève est possible pour la première année de la convention collective seulement[2]. L’exercice du droit de grève dans les secteurs concernés par les services essentiels est réduit à une manifestation symbolique et, enfin, les pouvoirs du Conseil des services essentiels sont accrus.
Pour accompagner ce nouveau régime de négociation issu de la loi 37, le gouvernement du Québec adopte, lors de la ronde de négociations de 1986, la loi 160 ou « Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux »[3]. Cette dernière vise à encadrer de façon très stricte l’exercice de la grève dans les secteurs mentionnés dans le titre de la loi. Tout en prévoyant que les salariés doivent assurer une prestation de service sans arrêt, ralentissement ou altération de leurs activités normales à compter du 12 novembre 1986 (sans préciser la date de son abrogation), la loi interdit aux associations de salariés ainsi qu’aux salariés de faire une grève qui ne respecte pas les dispositions de la loi concernant les services essentiels ou d’entraver par une action concertée l’accès à quiconque (utilisatrices et utilisateurs des services ou salariés) aux établissements de santé et de services sociaux. Les associations de salariés et groupements d’associations doivent prendre les moyens appropriés pour que leurs membres respectent les dispositions de la loi. Advenant une grève illégale, le gouvernement se réserve le droit de remplacer, modifier ou supprimer par décret les dispositions de la convention collective en matière d’embauche de nouveaux salariés et toute matière se rapportant à celle-ci, en plus d’exclure ceux-ci de l’application des dispositions de la convention collective en matière de sécurité d’emploi. Par un décret, le pouvoir exécutif s’autorise à rétablir la pratique du recours à des briseurs de grève.
Mises à part les lourdes amendes qui accompagnent habituellement les lois spéciales du genre, le gouvernement a prévu, pour les associations qui oseraient ne pas se conformer à la loi, la suspension de la retenue à la source de la cotisation syndicale (douze semaines par jour ou partie de jour pendant lequel dure la grève). Pour les salariés qui seraient enclins à contrevenir aux dispositions de la loi, il est prévu une réduction automatique d’un montant égal au traitement qu’ils auraient reçu pour chaque période d’absence et une perte d’un an d’ancienneté par jour de grève.
Par cette régulation exceptionnelle, le gouvernement modifie un élément important des règles du jeu à observer lors de l’exercice des moyens de pression. Il rétrécit l’espace dans lequel se dérouleront les grèves dites légales dans les affaires sociales. De plus, avec la nouvelle régulation du système introduite par la loi 37, le rapport de force est nettement renversé en sa faveur. Le contenu des négociations est profondément bouleversé.
Avec les lois 37 et 160, le nouveau modèle de relations de travail qui se met en place n’apporte pas un élargissement des droits démocratiques. Il ne facilite pas non plus l’expression libre des salariés syndiqués quant à leurs conditions de travail et de rémunération. Dans ce nouveau régime de « négociation amputée » en regard de questions importantes et essentielles pour les salariés syndiqués, on restreint réellement leurs chances de peser sur les décisions qui les concernent. Leur marge d’autonomie est réduite au plan de l’exercice de moyens de pression. Elles et ils se voient enfermés dans un cadre rigide qui réduit le champ de la négociation en plusieurs matières. Les comportements des salariés syndiqués et de leurs organisations sont de plus en plus précisés et orientés dans un sens déterminé par la loi.
Le droit du travail dont il est question maintenant avec les lois 37 et 160 ne se pose plus en termes de gestion des différends entre les salariés syndiqués et l’État; les nouvelles règles indiquent comment certaines activités doivent être exécutées et dispensées dans les lieux de travail, et ce, en période de négociation des conventions collectives ou hors de celle-ci.
Avec les lois 37 et 160, un nouveau cycle disciplinaire semble bel et bien se mettre en place. Cycle qui, sans renier tous les aspects liés à la reconnaissance syndicale, réduit les manifestations d’opposition et de contestation syndicale et qui, par un fin découpage des matières négociables aux niveaux provincial et autres (régional et local), autorise pour la première année la négociation sur les salaires et l’interdit, sur ce point important pour les salariés syndiqués, pour les deux années suivantes. Tout est donc en place pour assurer le plafonnement autoritaire des salaires. Le dispositif répressif est maintenant connu d’avance, et il s’avère très renforcé. Avec un droit de grève balisé et réduit à sa plus simple expression (pour les secteurs de la santé et des services sociaux surtout), les mesures répressives et coercitives font désormais partie des règles du jeu. La manière dont le pouvoir doit être obéi est précisée sous plusieurs aspects. À ce moment-ci, on peut avancer qu’avec les réformes de 1985-1986 du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic, on semble bel et bien en présence d’un nouveau régime de relations de travail qui inaugure formellement l’ère des « négociations factices ». « Négociations factices », car le nouveau régime de négociation altère et bouleverse la nature même du rapport de force entre les protagonistes en présence lors de la période de renouvellement d’une convention collective. Avec les lois 37 et 160, un nouveau régime de négociation est créé en vue de faciliter la tâche de l’État-employeur d’imposer ses politiques de gestion des relations de travail sans avoir à discréditer, par le recours abusif à l’adoption de mesures exceptionnelles, le processus législatif.
Les négociations dans les secteurs public et parapublic de 1985 à 1999
De 1985 à 1999, huit périodes de négociation ont eu lieu entre l’État et les salarié-e-s syndiqués des secteurs public et parapublic (1986, 1989, 1991, 1992, 1993, 1995, 1996-1997 et 1998-1999). La Loi régissant la négociation dans les secteurs public et parapublic prévoit que seule la première année de la convention collective peut faire l’objet d’une négociation en ce qui concerne les salaires, les deux suivantes devant faire l’objet d’un règlement adopté par le gouvernement. Fait important à souligner, ces négociations se sont toutes conclues dans un cadre fort différent de celui prévu dans la loi. Qu’on en juge par ce qui suit.
1. En 1986, le gouvernement du Québec convient d’une convention collective pour une durée de trois ans, accordant des augmentations de salaire de l’ordre de 3,5 % (le 1er janvier 1986); de 4% (le 1er janvier 1987) et de 4,5 % (le 1er janvier 1988). À cela s’ajoute une indexation pouvant aller jusqu’à 1 %, si l’indice des prix à la consommation en décembre 1987 dépasse de plus de 4,25 % celui de décembre 1986. Cette convention collective vient à échéance le 31 décembre 1988.
2. Aux négociations de 1989, les augmentations salariales convenues entre les parties en présence sont de l’ordre de 4 % en 1989, de 4,5 % en 1990 et de 4 % en 1991. Les conventions collectives expirent le 31 décembre 1991.
3. En avril 1991, une entente de principe, conclue entre le gouvernement et les représentants syndicaux, prévoit une prolongation de six mois de la convention collective (l’échéance des conventions est reportée du 31 décembre 1991 au 30 juin 1992), accompagnée d’une augmentation de 3 % au dernier jour de la convention collective (1er juillet 1992).
4. En février 1992, le président du Conseil du trésor invite les organisations syndicales à renoncer à l’entente conclue pour la remplacer par une nouvelle prolongation qui comportera des concessions salariales de la part des salariées et des salariés de l’État. Les parties conviennent en mai 1992 d’une nouvelle prolongation d’un an de la convention collective (du 30 mai 1992 au 30 juin 1993). L’augmentation salariale de 3 % au 1er juillet 1992 est maintenue.
5. En juin 1993, le gouvernement adopte une loi spéciale (la Loi 102) qui décrète une prolongation des conventions collectives du 30 juin 1993 au 30 juin 1995. La masse salariale est amputée de 1 % (ce qui correspond à 2,6 jours de congé sans rémunération pour les années 1993-1994 et 1994-1995). Les clauses normatives sont reconduites pour une période de deux ans. Le gouvernement offre la possibilité de remplacer la coupure salariale de 1 % par d’autres économies dans l’organisation du travail.
6. En août 1995 (à quelques semaines du référendum d’octobre) débutent des négociations marathon en vue du renouvellement des conventions collectives échues depuis juin 1995. Les parties conviennent d’abroger la Loi 102 à compter d’octobre 1995 et s’entendent sur les augmentations salariales suivantes : 1 % le 1er mars 1997 et 1 % le 1er mars 1998. La convention doit venir à échéance le 30 juin 1998.
7. Au début de 1997 (en février), le gouvernement rouvre les conventions collectives et fixe des objectifs de résultat. Les salariées et les salariés syndiqués des secteurs public et parapublic doivent accepter diverses formes de coupures équivalant à 6 % des coûts de main-d’œuvre. L’objectif visé par le gouvernement est le suivant : diminution de 15 000 postes à temps complet, objectif qu’il parvient à imposer aux organisations syndicales en adoptant une loi spéciale, la Loi 104.
8. En décembre 1999 (après dix-huit mois de négociations), le Front commun syndical (CEQ-CSN-FTQ) obtient une entente négociée d’une durée de 4 ans. Les hausses salariales convenues sont de l’ordre de 9 % (1.5 % pour 1999 ; 2.5 % par année pour les trois années suivantes).
Malgré la Loi 37, les centrales syndicales seront donc parvenues à négocier avec le gouvernement, à trois reprises, des conventions collectives d’une durée de trois ans (en 1986, en 1989 et en 1995) et, à une occasion, un contrat de travail d’une durée de quatre ans (1998-2002). De plus, à la suite de ces négociations avec le gouvernement, elles obtiendront des prolongations de contrat de travail (en 1991 et en 1992). En 1993, cependant, le gouvernement adoptera une loi spéciale qui viendra mettre un terme à la négociation, et en 1996-1997 (sous la menace d’une loi spéciale), le gouvernement réussira à rouvrir les conventions collectives en imposant une réduction de 6 % des coûts de main-d’œuvre.
Depuis l’entrée en vigueur de la Loi 37 (qui a fait suite aux décrets de 1982-1983), on peut dire que les relations de travail dans les secteurs public et parapublic se sont à nouveau terminées par des lois d’exception ou par des reconductions de conventions collectives venues à expiration. De plus, de 1989 jusqu’à l’expiration de la convention collective de 1995-1998, il n’y a pas eu de véritables négociations concernant les clauses normatives des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic.
De ce qui précède, il se dégage que le pouvoir exécutif, disposant de la majorité au Parlement, ne s’est pas gêné pour faire adopter, à plusieurs reprises, des mesures exceptionnelles au cours des négociations dans les secteurs public et parapublic. Et c’est en toute impunité qu’il a pu agir de manière contraire aux lois jusqu’alors en vigueur, les modifiant unilatéralement.
Des services de plus en plus nombreux à être réputés essentiels
L’entrée en vigueur du Code du travail en 1964 (S.Q. 64, c. 45) et de la Loi de la fonction publique (S.Q. 65, c. 14) ont pour effet de libéraliser le régime de négociations collectives. Les employés des services public et parapublic (à l’exception des gardiens de prison et des agents de la paix) obtiennent le droit de grève. Notons que dans les secteurs public et parapublic, si la grève appréhendée ou en cours a pour effet de mettre en danger la santé et la sécurité publique, le gouvernement peut s’adresser à la Cour supérieure en vue d’obtenir une injonction pour empêcher cette grève ou menace de grève ou pour y mettre fin. L’exercice du droit de grève est assujetti aux dispositions de l’article 99 du Code du travail qui vise à « protéger » la santé ou la sécurité publique.
Même si l’article 99 du Code du travail a pour effet de limiter le droit de grève des salariés des secteurs public et parapublic, l’exercice de ce droit syndical n’était pas, à l’époque, assujetti à la prédétermination des services essentiels. Ce n’est qu’au moment où la grève peut constituer un danger pour la santé ou la sécurité qu’un juge de la Cour supérieure peut ordonner (par une injonction) l’arrêt de la grève. Ce sera avec le projet de loi 253 (en décembre 1975) que le Gouvernement du Québec subordonnera l’exercice du droit de grève à la prédétermination et au maintien des services essentiels.
La Loi visant à assurer les services de santé et les services sociaux essentiels en cas de conflit de travail a pour effet de créer un poste de commissaire aux services. Si les parties négociantes (employeurs et salariés syndiqués) ne peuvent conclure une entente sur les services essentiels à l’occasion d’un arrêt de travail, le commissaire (ou son adjoint) dispose d’une période de trente jours pour rendre sa décision quant au nombre minimum d’emplois à être occupés pour fournir les services essentiels.
Suite aux travaux de la Commission Martin-Bouchard, le Gouvernement du Québec décide d’adopter (le 23 juin 1978) la Loi modifiant le Code du travail. Cette loi a pour effet d’abroger la Loi visant à assurer les services de santé et les services sociaux essentiels en cas de conflit de travail et donne suite à certaines recommandations de la Commission concernant les services essentiels :
- négociation d’une entente sur les services essentiels entre les parties six mois avant l’expiration de la convention collective (à défaut d’entente, la liste syndicale prévaut) ;
- création du Conseil sur le maintien des services de santé et des services sociaux, qui a pour mandat d’informer le public quant à la situation prévalant en matière d’ententes, de listes syndicales et de maintien des services essentiels lors d’un conflit de travail.
Le rôle du Conseil sur le maintien des services essentiels consiste à s’assurer que les ententes ou les listes sont respectées. Le Conseil ne possède aucun pouvoir de décision. Il n’interviendra qu’une seule fois, lors des négociations de 1979.
L’adoption du projet de loi 72, en juin 1982 (La Loi modifiant le Code du travail, le Code de procédure civile et d’autres dispositions législatives) a pour effet de créer le Conseil des services essentiels. Cette loi crée la première structure permanente chargée d'évaluer les services essentiels lors d’un conflit de travail dans les secteurs public et parapublic.
Le mandat du Conseil est le suivant :
- sensibiliser les parties au maintien des services essentiels lors d’une grève;
- informer le public sur toute question relative au maintien des services essentiels;
- aider les parties à confectionner l’entente ou la liste des services qui seront maintenus au cours de la grève;
- évaluer la suffisance des services prévus dans les ententes ou les listes.
De plus, si le Conseil juge les services insuffisants, il peut recommander des ajouts ou modifications à la liste ou à l’entente de façon à assurer la santé ou la sécurité du public. De plus, il peut recommander au syndicat de surseoir à la grève et de refaire l’exercice de confection de la liste de services essentiels.
Si les services essentiels proposés à une liste sont réputés nettement insuffisants, le Conseil doit faire rapport au ministre du travail en lui précisant dans quelle mesure l’insuffisance des services proposés constitue une menace à la santé ou à la sécurité de la population. Le ministre peut recommander ou non au Gouvernement de suspendre l’exercice du droit de grève du syndicat jusqu’à ce qu’il soit démontré qu’en cas de grève les services essentiels seront maintenus de façon suffisante.
L’adoption du projet de loi 11 (le 21 décembre 1984), Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière des relations de travail, a pour effet d’apporter de nouvelles modifications au Code du travail. Certaines de ces modifications ont pour effet de modifier le fonctionnement interne du Conseil des services essentiels de la manière suivante :
- en stipulant que les parties devront se présenter à toute séance à laquelle le Conseil les convoque ;
- en modifiant le délai du dépôt de l’avis de grève qui passe à sept jours juridiques francs ;
- en ajoutant un poste de vice-président(e) au Conseil.
- en interdisant à l’employeur de modifier les conditions de travail des salariés qui assurent les services essentiels durant la grève.
Le projet de loi 37, adopté le 19 juin 1985, Loi sur le régime des négociations des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic a pour effet d’élargir les compétences et les pouvoirs du Conseil des services essentiels. La compétence du Conseil, en ce qui concerne la détermination et le maintien des services essentiels lors d’une grève, s’étendra à tout le réseau de la santé et des services sociaux. De plus, la loi précise pour chaque type d’établissement le pourcentage de salariés à maintenir en poste au moment de la grève. Le Conseil se voit octroyer par le législateur des pouvoirs de redressement qui permettent au Conseil d’intervenir dans tous les conflits légaux et « illégaux » qui affectent les services publics et les secteurs public et parapublic visés par la loi.
Le Conseil a le pouvoir de faire enquête sur tous les conflits qui affectent les services et les secteurs qui tombent sous sa juridiction. Il peut rendre une ordonnance ou exiger réparation. Une ordonnance du Conseil a la même force et le même effet que s’il s’agissait d’un jugement de la Cour supérieure. Le non-respect d’une telle ordonnance peut entraîner des accusations d’outrage au tribunal.
Les modifications apportées au Code du travail le 12 juin 1998 (1998, chapitre 23) ont pour effet d’attribuer au président et au vice-président, le pouvoir d’agir seul au nom du Conseil notamment pour la désignation d’un médiateur, pour l’approbation d’une entente et pour l’évaluation de la suffisance des services essentiels prévus à une liste ou à une entente. De plus, de nouveaux services sont assujettis à la Loi des services essentiels. Il s’agit des services suivants : l’emmagasinage du gaz, la cueillette, le transport et la distribution du sang ou de ses dérivés et des organes humains destinés à la transplantation et les activités de protection de la forêt contre les incendies. Ce sera par l’adoption d’une loi spéciale (la Loi concernant la prestation des services de soins infirmiers et des services pharmaceutiques 1999, c.39) que les pharmaciens œuvrant dans les établissements de santé se verront inclus dans la liste des salariés assujettis au pouvoir de redressement du Conseil des services essentiels.
Yvan Perrier
17 septembre 2023
Références:
[1] Pierre Verge, Le droit de grève, fondements et limites, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1985, p. 154.
[2] Fernand Morin, « Rapports collectifs du travail dans les secteurs publics québécois ou le nouvel équilibre selon la loi du 19 juin 1985 », Relations industrielles, vol. 40, no 3, 1985, p. 629-645.
[3] Gouvernement du Québec, Projet de loi 160. Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux, Québec, 1986, 10 p.
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Et qu’est-il arrivé après 1999?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, tout ne s’est pas déroulé paisiblement au cours des 25 dernières années malgré la belle construction juridique dont le gouvernement s’est doté. Voici donc quelques dates charnières qui marquent les derniers cycles de négociations du réseau collégial, notamment.
2005: Le personnel enseignant des collèges est représenté par trois fédérations distinctes: la FEC, la FNEEQ et la FAC dont fait partie le cégep de Rimouski à l’époque. La FAC conteste l’ordre de la partie patronale d’allonger la session pendant les vacances estivales afin de reprendre les activités pédagogiques annulées et ce, sans rémunération additionnelle. La partie syndicale conteste et l’emporte. Conséquemment, les cégeps fautifs doivent compenser financièrement les personnes employées concernées.
2008: La direction du Collège Ahuntsic invoque son droit de gérance et demande au personnel enseignant de reprendre les cours annulés à l’intérieur de leur période de disponibilité, toujours sans compensation financière. La partie syndicale conteste et un arbitre confirme que l’on ne peut pas imposer une telle charge de travail sans compensation adéquate. Il a même été évoqué que pareilles mesures de reprise pourraient porter atteinte au droit fondamental de manifester.
2015: La partie patronale revient à la charge avec l’idée de faire reprendre les activités pédagogiques manquées à cause de la grève. Elle ordonne au personnel enseignant de procéder et de se compenser à même le 173 heures annuelles de disponibilité prévues à la convention collective. Un syndicat de la FNEEQ (Shawinigan) conteste et décroche une décision similaire à celle d’Ahuntsic en 2008 ce qui renforce la jurisprudence en faveur de la partie syndicale.
2015: Événement majeur. Une décision historique de la cour suprême du Canada vient préciser que le droit de grève est une composante essentielle des négociations collectives et que les lois interdisant l’exercice sont anticonstitutionnelles.
2023: En 2020, une entente nationale précise que le personnel enseignant ne pourra pas cette fois utiliser les 173 heures de disponibilité en guise de compensation pour la reprise des activités pédagogiques annulées. La partie patronale nonobstant ce fait, demande tout de même d’appliquer les mêmes opérations qu’en 2015. Le syndicat de Drummondville conteste et un arbitre accueille les griefs. Le gouvernement a toutefois choisi de contester cette décision en cour supérieure…
Depuis le début de l’année 2024, les gouvernements étant légalement contraints décident de se tourner vers une nouvelle arme juridique pour la résolution des conflits de travail: l’arbitrage exécutoire. Appliquée dans les conflits impliquant les employés des ports et des chemins de fer, cette nouvelle procédure consiste en une espèce de mini-procès où un arbitre entend les positions des deux parties et rend une décision pour le règlement du litige. Son jugement est légalement contraignant et une partie peut faire appel aux tribunaux pour garantir l’application de cette décision. Une méthode certes plus élégante que le décret mais qui laisse tout de même à penser que le droit de manifester est à nouveau attaqué. Idem du côté des 55 000 travailleuses et travailleurs de Poste Canada qui ont subi un sort similaire lorsque le ministre du Travail a annoncé qu’il s’en remettait à la Commission canadienne des relations industrielles pour forcer le retour au travail et espérer un règlement définitif en mai 2025.
Tout récemment, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, a mentionné la volonté du gouvernement de la CAQ de “moderniser” la loi encadrant la négociation des secteurs public et parapublic. Est-ce en réaction au déroulement de la dernière ronde de négociations? Est-ce un désir d’éviter d’en venir à l’arbitrage exécutoire? Est-ce une stratégie déployée par le gouvernement pour s’octroyer des pouvoirs supplémentaires en la matière? Il nous faudra évidemment être vigilant afin d’éviter que le tapis ne nous glisse sous les pieds.
Références:
- Saskatchewan Federation of Labour c. Saskatchewan, [2015] 1 RCS 245 (Cour suprême du Canada).
- Collège Ahuntsic c. Syndicat du personnel enseignant du Collège Ahuntsic, SAE 8138 (Pierre-A. FORTIN); conf. sub nom. Collège Ahuntsic c. Fortin 2008 QCCS5987 (Hon. Daniel H. TINGLEY).
- Cégep de Shawinigan c. Syndicat des professeurs du cégep de Shawinigan, SAE 8593 (Gilles GIGUÈRE); conf. sub nom. Syndicat des professeurs du cégep de Shawinigan c. Giguère SAE 8593 (CS), (Hon. Danielle GRENIER j.c.s.) et Syndicat des professeurs du cégep de Shawinigan c. Collège de Shawinigan, 2025 CANLII 385 (Cour d’appel)