Féminicène, de Véra Nikolski (Fayard, 2023)

Aimée Lévesque, enseignante d'anglais

 

Je n’ai pas encore lu le livre, que j’ai commandé à la bibliothèque Gilles-Vigneault. Je vous propose toutefois de résumer les propos de son autrice, entendus dans deux épisodes de balados récents .

Dans Féminicène, Véra Nikolski, détentrice d’un doctorat en sociologie politique, décrit ce qu’elle identifie comme « les vraies raisons de l’émancipation des femmes » et « les vrais dangers qui la menacent ». Passons outre l’aspect racoleur de ces sous-titres pour aller directement au propos de Nikolski, qui pourra déranger plusieurs féministes, surtout en cette Journée internationale des droits des femmes : même si elle considère les luttes féministes comme importantes, ce serait avant tout, selon elle, une conjoncture matérielle qui aurait créé les conditions nécessaires à l’émancipation des femmes de notre « succession de sociétés plus ou moins inégalitaires ».

Dans la préhistoire, alors que les humains avaient encore peu d’outils autres que leur corps, la division sexuelle du travail s’est produite dans un but de productivité optimale. Sans céréales, on ne pouvait pas sevrer les enfants tôt; les femmes les allaitaient longtemps et s’occupaient donc des tâches qui leur demandaient moins d’être mobiles. Avec la sédentarisation amenée par la révolution néolithique, par contre, on pouvait se permettre d’avoir un enfant tous les deux ans au lieu d’un tous les quatre ans… mais la mortalité infantile (comme la mortalité tout court) augmentait en raison de la concentration des populations et des maladies dues à la cohabitation avec les animaux d’élevage et à l’insalubrité de l’eau. Jusqu’au XIXe siècle, 50 % des enfants n’atteignaient pas l’âge adulte, d’où la nécessité de conserver un taux de natalité élevé.

Puis est venue la révolution industrielle qui, outre le fait qu’elle a « lib[éré] les femmes d’une série de contraintes supplémentaires que les hommes n’[avaient] pas » (par la technologisation et l’externalisation de tâches qui leur étaient dévolues, comme la couture), permet aux femmes de travailler à l’extérieur du foyer et leur donne aussi les moyens matériels de « planifier [leur] vie » et le nombre d’enfants qu’elles souhaitent avoir. Comment? Par la baisse de la mortalité infantile, due à l’amélioration de la qualité de l’eau, à la vaccination généralisée et à la diffusion des antibiotiques. Désormais, « l’enfant qui nait est un enfant qui vivra »; la mort d’un enfant (ou de plusieurs!) ne fait plus partie des expériences par lesquelles toutes et tous sont obligé.es de passer. 

Sans ces conditions matérielles, hygiéniques, liées à la technologie (et sans un système de santé égalitaire), les droits des femmes demeurent caducs. Véra Nikolski donne l’exemple de la pilule contraceptive : s’il n’y a pas ou plus de production de ladite pilule, le droit à la contraception perd son sens. 

Et là réside « les vrais dangers » qui menacent les femmes : si la crise écologique fait se dégrader rapidement les conditions matérielles de notre existence, les femmes perdront-elles des acquis? Alors que nous savons déjà que « les femmes sont plus vulnérables que les hommes » aux changements climatiques  et qu’on ne peut plus ignorer la progression de ceux-ci, Véra Nikolski maintient que les luttes pour les droits des femmes ne suffiront pas : il faudra aussi, par exemple, que plus de femmes investissent les sciences et technologies, notamment dans le domaine de la santé, afin de nous garantir l’accès au contrôle de nos corps et de nos vies.

Mais est-ce encore suffisant? On est en droit de se le demander. Si vous souhaitez poursuivre la réflexion, n’hésitez pas à me faire signe après l’écoute d’un des épisodes ou la lecture du livre!