Membre du Syndicat, nous sommes en situation de sous-embauche accumulée.
Le savais-tu ?
Bon, au cas où tu sortirais de sous ta proverbiale roche après des mois à faire des choses, on va se le dire, sans doute bien plus intéressantes qu’un suivi assidu des ressources enseignantes au Cégep, sache simplement que l’automne dernier, la Direction nous annonçait que la masse salariale enseignante avait accumulé une sous-embauche de 14.129 ETC (ou « Équivalent Temps Complet », l’équivalent en ressources financières de 14 enseignant.es à temps plein et des poussières).
Le présent article ne vise pas, ceci dit, à faire l’analyse complète de ce nombre, ou à chercher à identifier les raisons qui expliquent cette importante sous-embauche (parce que, oui, 14 ETC c’est énorme, et oui, une situation de cette nature doit motiver de grandes et profondes réflexions sur la manière dont nous parvenons à gérer nos ressources), mais plutôt à voir quels sont les impacts d’un débalancement de la masse salariale de cette amplitude sur un important processus dont tu as peut-être entendu parler au cours des dernières semaines : la répartition des ressources enseignantes.
Prenons quand même un petit moment pour se remémorer ce que sont la sous et la surembauche. D’abord, il faut comprendre que les ressources financières qui servent à nous payer (toi, moi, et tous nos vaillantes et vaillants collègues du corps enseignant) sont tirées de et versées dans une enveloppe fermée, en ce sens que tout l’argent qui y entre ne peut en sortir QUE POUR payer des salaires de prof. C’est non-négociable. Cela signifie que, lorsqu’il y a des surplus (quand on dépense moins de ressources que ce que le ministère nous a fait parvenir), tout l’argent inutilisé à l’année X doit être réinvesti dans les années Y ou Z pour rétablir l’équilibre… Et le contraire est aussi vrai : lorsque la masse salariale dépasse les ressources envoyées par le ministère à l’année X, on doit déduire cette « dette » de la masse aux années Y et Z pour, encore une fois, rétablir l’équilibre. Autrement dit, cet argent est aux profs, autant en surplus (sous-embauche) que sous forme de dettes (surembauche), et c’est à la masse salariale des profs d’être bonifiée par la réinjection des surplus, ou d’assumer les coups du remboursement des déficits, les cas échéants.
Mais là, je t’entends d’ici : comment ça se peut, donc ? Comment peut-on dépenser plus ou moins que ce que le ministère nous envoie ?
C’est en grande partie dû au mode de financement des collèges qui fonctionne sur un système de prévision et d’allocation des ressources en amont du financement. Chaque année, aux alentours du mois d’avril, la Direction estime le nombre d’étudiants qui seront sur les bancs d’école en septembre, et tente de prédire la quantité de ressources qui lui seront envoyées pour pouvoir enseigner à chacune et chacun d’eux. En se basant sur ces projections, la Direction, conjointement avec le Syndicat dans le cadre d’un processus de négociation qui dure tout au plus trois semaines, produit un modèle de répartition des ressources enseignantes pour l’année à venir.
Une fois que l’entente est signée entre la Direction et le Syndicat, les ressources sont allouées aux départements pour élaborer des scénarios de tâches au début du mois de mai, pour l’automne et l’hiver suivants. Si tu as suivi un minimum, tu réaliseras que tout ça se « paye », essentiellement, à grands coups d’argent Monopoly puisque pas un sou du ministère pour l’année en question n’est encore tombé dans les coffres du Collège ! On roule, à ce stade-ci, à 100 % sur des prédictions et des modèles statistiques.
L’argent, le VRAI, en réalité, nous n’en verrons la couleur qu’après les dates fatidiques des 20 septembre et 15 février, dates auxquelles le Ministère donne ses seuls coups de sonde des sessions d’automne et d’hiver, détermine le nombre réel d’étudiants en classe, signe un gros chèque et l’envoie au Collège qui attend depuis des mois, les doigts croisés, en espérant que ses prédictions d’avril étaient bonnes. Si, d’aventure, l’argent qui rentre est insuffisant pour payer tous les profs qui ont déjà commencé leur session, la masse est en déficit (surembauche), et si l’on reçoit davantage d’argent que ce qu’on a distribué en amont de la date de financement, on tombe en surplus (sous-embauche). Ce n’est qu’en novembre que l’on reçoit les données finales de l’année précédente et qu’on sait, une bonne fois pour toutes, dans quel état se trouvait la masse salariale en date du 30 juin… Tout ça pour mettre la table pour la prochaine répartition des ressources d’avril, et on répète le processus encore, et encore, et encore.
Est-ce qu’il y a d’autres facteurs qui peuvent expliquer un déséquilibre dans la masse salariale ? Oui, bien sûr. Je t’ai servi ici la version turbo-diet de l’explication de ce qu’est la sous-embauche, le strict nécessaire pour comprendre la suite…
Tout ça pour dire que ! … Maintenant qu’on sait si notre masse salariale est en équilibre ou non, il faut refaire une répartition des ressources qui reflète l’état actuel de l’enveloppe dédiée aux ressources enseignantes, et c’est là qu’on arrive au vif du sujet :
Comment un déséquilibre dans la masse salariale influence-t-il le processus de répartition des ressources ?
Comme je l’ai dit d’entrée de jeu, la masse salariale des profs (qu’on appelle affectueusement “L’enveloppe du E”) est fermée.
C’est comme à Vegas : c’qui s’passe dans l’enveloppe du E, reste dans l’enveloppe du E !
Quand on entame un processus de répartition des ressources en situation de sous-embauche comme c’est le cas actuellement, il faut donc, à même la planification de l’année à venir, intégrer des mécanismes qui permettront d’écouler ces ressources qui prennent la poussière. Ça peut prendre la forme d’une injection directe à même la masse salariale des profs : donc, aux ressources « normales » dont on prévoit avoir besoin pour l’année suivante, on ajoute à notre projet de répartition les ressources accumulées des années précédentes, en tout ou en partie (Par exemple : Si on prévoit avoir besoin de 50 profs pour l’an prochain, mais qu’on a une sous-embauche accumulée de 2 ETC, on pourrait décider de dire aux départements de faire leurs tâches avec 51 ou même 52 ETC au lieu de 50, afin d’écouler ces ressources).
Parfois, l’injection de ces ressources peut prendre la forme de réserves, le plus souvent allouées à la Direction des études, qui serviront à financer des projets et des dégagements (toujours et inconditionnellement, on se le rappelle, ces dégagements devront être attribués à des enseignants, car les fonds sont « piégés » dans l’enveloppe du E et ne peuvent en sortir que pour payer des profs).
C’est ici que le travail du Syndicat est important, car il revient aux officiers syndicaux et aux membres des comités de relations de travail (CRT) et de Rencontre Collège-Syndicat (RCS) d’effectuer une veille pour s’assurer que les ressources inutilisées qui auraient dû être allouées à l’enseignement ne seront pas trop « détournées » vers des budgets discrétionnaires et nominatifs. C’est un équilibre précaire à maintenir, car il ne suffit généralement pas d’injecter massivement la sous-embauche accumulée pour l’écouler en raison des modes de fonctionnement propres à chaque département, et en raison du processus d’élaboration des tâches d’enseignement au cégep, alors il est parfois nécessaire de trouver d’autres façons de dépenser ces ressources.
On serait aussi en droit de se demander : alors, pourquoi ne pas simplement injecter les 14 ETC de sous-embauche immédiatement et en finir une bonne fois pour toutes ?
Le souci, c’est qu’il faut aussi veiller à ne pas trop déséquilibrer les masses salariales d’une année à l’autre, car on courrait alors le risque d’ouvrir des postes et de créer des permanences qu’on ne saurait soutenir une fois que l’on aura retrouvé l’équilibre et que toute la sous-embauche aura été écoulée. On veut donc injecter la sous-embauche de façon progressive et calculée afin d’éviter de causer, parmi les profs permanents, des mises en disponibilité (MED).
Pis ça, les MED, c’est le genre d’affaires qui te fait dire : « ah ok, c’est pas si pire ! » la première fois où tu en entends parler, mais qui te réchauffe une place assise dans un tramway nommé « Angoisse » à chaque fois que quelqu’un t’en apprend un peu plus sur le sujet…
Savoir, je t’en reparlerai dans un article à venir, suite palpitante de celui-ci, portant sur les ouvertures de postes et les MED ! Je te sens déjà frémir d’impatience, Membre du Syndicat.
En attendant,
Force bisous et câlins syndicaux.
Mange tes légumes, pis fais-toi une tâche qui t’allume !