Entrevue avec un étudiant en grève

Julie McDermott, responsable des affaires pédagogiques et du perfectionnement

 

Lorsque nous avons appris que les étudiantes et les étudiants allaient de l’avant avec l’idée de faire la grève pour la rémunération des stages, au CCS, on a pensé qu’il faudrait en parler dans La Riposte. Après avoir jonglé avec cette idée et m’être demandé sous quel angle aborder la situation, je me suis dit que les personnes les mieux placées pour en parler étaient les étudiantes et les étudiants grévistes eux-mêmes ! Voici donc le fruit de mon échange avec Xavier Gravel, président actuel de l’AGECR et étudiant en Techniques d’éducation spécialisée.

Xavier, pourquoi faites-vous la grève ? On comprend que c’est pour la rémunération des stages mais, plus précisément, pourquoi c’est important pour vous ?

Le mot-clé est l’équité. Actuellement, il y a des milieux de stages qui offrent une rémunération, notamment en architecture, en foresterie, en administration ou encore en informatique, où certaines personnes sont payées à plus de 25 $/h alors que, dans d’autres milieux, essentiellement dans le secteur public, les stagiaires n’ont pas de rémunération. Par exemple, les Techniques d’éducation spécialisée, de travail social et de soins infirmiers en font partie. Pire encore, des étudiantes et des étudiants en échographie médicale se déplacent 1 an en stage à l’extérieur de la ville et doivent s’organiser pour subvenir à leurs besoins. Nous recevons régulièrement des cris du cœur de personnes qui peinent à joindre les deux bouts…

Comment voyez-vous la rémunération des stages ? Quelles seraient les modalités idéales, selon vous, pour une meilleure équité ?

La position de l’AGECR est de demander la rémunération des stages sous forme de bourses régulières. Nos intermédiaires sont Pascale Déry, ministre de l’Enseignement supérieur, et Éric Girard, ministre des Finances. Puisqu’un timide système de bourses est déjà en place pour certains stages, nous souhaitons modifier les modalités et les montants accordés à ces bourses. Il n’y a pas de montant fixe, mais on s’attend à ce qu’il soit adapté selon la durée et le type de stage (observation, direct, indirect, etc.).

Certaines personnes mentionnent qu’il s’agit d’un enjeu féministe… peux-tu m’en dire un peu plus là-dessus ? 

Pour te répondre, je vais paraphraser ma collègue en éducation spécialisée, Marilyn Lacroix. On peut considérer la grève étudiante pour la rémunération des stages comme un enjeu féministe, parce que les emplois touchés par la rémunération des stages concernent des corps de métier dits traditionnellement féminins. Selon Emploi-Québec, un métier est considéré traditionnellement féminin lorsqu’on y trouve moins de 33 % d’hommes dans ses rangs. Plusieurs sources énumèrent d’ailleurs la liste des principaux métiers traditionnellement féminins. Ces statistiques sont aussi soulevées dans les rapports de Statistique Canada en 2021. Cela inclut entre autres les travailleuses en éducation et dans le domaine de la santé et des services sociaux. Ces milieux, majoritairement financés par le secteur public, se retrouvent donc dépendants des instances gouvernementales. Comme la majorité des corps de métier dits féminins relèvent de professions du « care », qui étaient initialement réalisées par les sœurs et les mères, l’enjeu de l’équité de la reconnaissance est un travail de longue haleine.

Un ouvrage intéressant, publié en 2021 par un collectif d’autrices et d’auteurs, mentionne que, « depuis la crise économique de 2008, plusieurs groupes de stagiaires d’un peu partout dans le monde [se sont] organisés et [ont appelé] à la grève pour dénoncer le remplacement d’emplois salariés par des stages non rémunérés »[1]. L’ancien comité unitaire sur le travail étudiant (CUTE) s’est unifié et a revendiqué une rémunération des stages. Ce comité a créé des alliances jusqu’à l’international et on souligne d’ailleurs dans les écrits du collectif l’importance du soutien du gouvernement et l’impact du travail invisible.

La grève pour la rémunération des stages s’est terminée vendredi… comment ça va, la mobilisation, l’énergie et l’état d’esprit des troupes ?

L’énergie a été fantastique du lundi au vendredi ! À tous les jours de piquetage, nous avons toujours atteint un nombre impressionnant de plus de 100 membres. Ça en dit beaucoup sur la pertinence du mouvement et sur comment les personnes se sentent concernées par l’enjeu de la rémunération des stages. Nous avons pu le constater lors de la reconduction de la grève jusqu’à vendredi et par le soutien de plusieurs étudiantes et étudiants qui sont déjà eux-mêmes rémunérés. Entraide, solidarité, bonne humeur et résilience ont été les mots d’ordre tout au long de la grève !

À ta connaissance, combien d’associations étudiantes sont impliquées dans le mouvement de grève ? Crois-tu que ce mouvement prendra de l’ampleur dans les prochaines semaines ? 

Huit associations étudiantes ont eu des mandats de grève :

UQO St-Jérôme – Travail social, du 27 au 31 mars

UQO St-Jérôme – Psychoéducation, du 27 au 31 mars

UQO St-Jérôme – Éducation, 30 et 31 mars

UQO Gatineau – Travail social, le 27 mars

UQO Gatineau – AÉMP (psychoéducation), le 27 mars

UQAR Rimouski AGECAR, du 27 au 31 mars

Cégep du Vieux Montréal AGECVM, du 27 au 31 mars

… et bien sûr l’AGECR du Cégep de Rimouski, du 27 au 31 mars !

Nous pouvons aussi souligner d’autres grèves qui ont eu lieu durant la session d’automne 2022, notamment la faculté d’enseignement de l’UQAM, qui a tenu 5 semaines de grève. C’est sans parler des différentes actions qui ont eu lieu en 2019.
 

Sans entrer dans les détails, nous pouvons vous affirmer que l’AGECR est en contact avec une quinzaine d’associations étudiantes collégiales à travers le Québec et que nous travaillons activement à développer une mobilisation progressive au sein de ces différentes associations. Un consensus est établi dans les différents comités exécutifs sur la pertinence de militer sur l’enjeu de la rémunération des stages. Autant avec la nouvelle fédération nationale combative, la CRUES (Coalition de résistance pour l’unité étudiante syndicale), que dans les cégeps et universités non affiliés. La stratégie à long terme est de consolider une mobilisation forte pour le printemps 2024.

Quelles sont les prochaines étapes, selon toi ? Si le gouvernement ne vous écoute pas, qu’allez-vous faire ensuite ? 

Concrètement, nous allons travailler sur deux fronts : au niveau national et au niveau local avec le Cégep. Dans les deux cas, nous avons déjà obtenu des gains. D’une part, une motion de reconnaissance sur l’iniquité de la rémunération des stages dans le milieu public[2], déposée par Pascal Bérubé, a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

L’adoption d’une motion était la première étape à franchir. L’enjeu des stages est enfin entré à l’Assemblée nationale ! Les prochaines étapes sont de rencontrer la députée caquiste Maïté Blanchette-Vézina, puis la ministre de l’Éducation supérieure, Pascale Déry, qui sera de passage à Rimouski en avril.

En ce qui concerne le Cégep, le comité exécutif a rencontré le comité de direction du Collège jeudi pour demander leur appui à nos revendications. La direction comprend notre mouvement, mais refuse de nous appuyer publiquement. Cependant, nous avons convenu d’établir un groupe de travail pour nous pencher sur les politiques internes du collège afin d’améliorer les conditions de stage des stagiaires.

Comment qualifiez-vous l’écoute ou les appuis reçus par la communauté rimouskoise (les profs, la direction, les médias, la population, etc.) ? 

Les différentes parties ont été au rendez-vous, que ce soit les usagers du Cégep ou les médias, les retours que nous avons reçus sont majoritairement positifs. Rappelons qu’une mobilisation aussi forte et coordonnée avec les étudiantes et les étudiants de l’UQAR n’a pas été vue depuis des années ! Cette coopération a été essentielle et déterminante sur nos gains. Mardi et mercredi, plusieurs dizaines d’étudiantes et d’étudiants du Cégep ont été présents sur les lignes de piquetage de l’UQAR, qui faisait face à une forte opposition de leur mandat de grève par leur administration. Nous souhaitons ainsi garder cette belle relation pour les prochaines années. Nous sommes fiers d’avoir lancé le bal du mouvement de cet hiver avec notre mandat de grève durant la semaine du 27 mars. Cela montre l’influence politique que nous pouvons avoir dans la dynamique étudiante de la province.

En terminant, as-tu autre chose à ajouter à l’intention des profs membres du SEECR ? 

En premier lieu, nous voulons souligner la solidarité des enseignantes et des enseignants qui ont respecté notre mandat de grève et qui n’ont pas accédé à l’établissement durant la semaine. Nous vous remercions sincèrement et avons une pensée particulière pour celles et ceux qui sont venus piqueter et manifester avec nous. Nous sommes conscients que vous entrez dans les nouvelles négociations de la prochaine convention collective et soyez assurés que l’AGECR vous supportera à la hauteur de ses capacités. 

Nous souhaitons vous inviter à adhérer à notre revendication, soit l’équité de la rémunération de tous les stages. Dans les dernières années, l’AGECR et le SEECR ont maintenu une collaboration exemplaire et nous croyons que nous avons tout à gagner à poursuivre sur cette lancée !

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Notes


[1] Collectif, Grève des stages, grève des femmes. Anthologie d’une lutte féministe pour un salaire étudiant (2016-2019), Montréal, Les Éditions du remue-ménage, 2021.

 

[2] Voici la motion : « Que l’Assemblée nationale prenne acte des revendications des étudiants universitaires et collégiaux du Québec, et notamment de l’UQAR, dénonçant la non-rémunération de plusieurs stages du secteur public ; Qu’elle partage leur constat que ces stages non rémunérés touchent majoritairement des métiers à prédominance féminine ; Qu’elle salue l’engagement courageux des étudiants à faire entendre leur opinion et rappelle que la voix des jeunes est importante pour les élus ; Qu’elle rappelle qu’afin de faire de la fonction publique un employeur de choix face au secteur privé, il est nécessaire de valoriser ces emplois ; Enfin, qu’elle demande au gouvernement de rémunérer les stages étudiants du secteur public. »