Quelques pistes d’intégration de l’Éducation relative à l’environnement dans notre cégep

Aimée Lévesque, enseignante d’anglais et membre du CACE
(Ce texte est écrit en mon nom personnel et n’engage ni mon département ni le CACE.)

 

Le 23 septembre 2022, lors de la Journée institutionnelle sur le climat, nous avons eu l’occasion de participer à une discussion avec nos collègues sur ce qui se faisait en éducation relative à l’environnement (ERE[1]) dans notre cégep. À ma table étaient représentées plusieurs disciplines, et de nombreuses pratiques inspirantes ont été évoquées. (Depuis, j’ai découvert qu’encore plus de mes collègues intégraient l’ERE dans leurs cours.) À l’issue de la discussion, la nécessité d’avoir le temps et la possibilité de créer une communauté de pratique sur l’ERE pour aller plus loin a été exprimée. En cette Semaine rimouskoise de l’environnement, j’ai envie de relancer ici la réflexion et, je l’espère, la conversation autour de quelques pistes pour l’intégration de l’ERE dans nos cours, mais également dans notre institution.

Selon Lucie Sauvé, pionnière en ERE au Québec, l’ERE se décline en trois dimensions : l’éducation au sujet de l’environnement, l’éducation par l’environnement et l’éducation pour l’environnement. La première et la dernière de ces déclinaisons seront abordées ici.

 

L’éducation au sujet de l’environnement

Parler de préservation du vivant en classe peut sembler l’apanage des enseignant.es des sciences de la nature. Bien sûr, le sujet partage une affinité avec les disciplines de ce domaine, mais cela ne veut pas dire pour autant que l’ERE soit réservée aux scientifiques. En enseignement des langues secondes (ou étrangères, dans une moindre mesure), la latitude dont nous bénéficions dans le choix des œuvres comme dans le choix des thèmes abordés permet à celleux qui le souhaitent et qui se sentent à l’aise d’intégrer des contenus sur l’environnement dans leurs cours.

Ainsi, dans le premier cours d’anglais, où la littérature est mise de l’avant, surtout aux niveaux plus avancés, il est possible de choisir une œuvre littéraire qui aborde des enjeux environnementaux (et/ou de justice sociale autour de ces enjeux) et d’amener les élèves sur le terrain de la discussion : les enjeux présentés ressemblent-ils à ceux vécus par certaines populations aujourd’hui ? Comment ? Pouvez-vous imaginer que cela se produise ici ? Pourquoi ?

Dans le second cours d’anglais, orienté autour des domaines d’études des apprenant.es, on peut inviter celleux-ci à mener une réflexion sur l’impact environnemental de leur futur métier ou sur les enjeux environnementaux de leur domaine d’études. Certain.es de mes élèves ont pu relever l’enjeu du plastique jetable en santé ou de celui de l’achat de plus d’uniformes de travail qu’iels en ont besoin.

Ce second axe d’intégration de l’ERE dans les contenus de cours est évidemment transposable à tous les domaines, car tous ont un impact sur l’environnement. Les cours d’éthique, en philosophie, sont aussi des lieux privilégiés de discussion sur des enjeux sociétaux comme celui-ci. Quant au premier axe, celui du choix d’œuvres, il peut s’appliquer aux cours de littérature, mais aussi à tous les cours où sont présentés des extraits d’œuvres artistiques : littéraires, cinématographiques ou autres (je pense aux cours d’Arts, lettres et communication et d’Arts visuels, mais il y en a certainement d’autres).

Il est toutefois mentionné dans la Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté que « [l] » interdisciplinarité caractéristique du savoir environnemental et nécessaire à l’éducation relative à l’environnement […] n’arrive […] pas à se déployer et ce, tant à l’école qu’au cégep ou à l’université » (2018, p. 7). Le caractère transversal que doit prendre toute réflexion (dans le monde de l’éducation, mais aussi dans les discussions politiques) sur la préservation du vivant et la gestion de nos ressources implique la nécessité de pouvoir échanger des idées entre nous, mais aussi de pouvoir monter des projets, et ce, dans le cadre de notre tâche, et non seulement dans celui de nos activités de bénévolat.

 

L’éducation pour l’environnement

Voici venue la partie du texte pour laquelle, je crois, je me ferai moins d’ami.es. Il y a à mon avis des impensés, ou des insuffisamment pensés, de notre relation à l’environnement et à l’écocitoyenneté, et ces deux éléments devraient faire partie de notre réflexion non seulement comme enseignant.es, mais aussi comme membres d’une institution scolaire : le numérique et le transport aérien.

L’impact du numérique est « un angle mort des politiques environnementales au Québec comme ailleurs », souligne l’équipe Chemins de transition dans son rapport final du défi numérique Comment faire converger la transition numérique et la transition écologique au Québec dans un horizon de 20 ans ? (2022 ; p. 6). L’impression de dématérialisation des données numériques, intangibles, donne faussement l’impression que le secteur du numérique n’a pas d’impact sur l’environnement, alors que la quantité faramineuse d’eau, d’énergie et de matières premières telles les métaux qui est nécessaire pour la fabrication des appareils n’est pas soutenable. Pour donner un exemple, 800 kg de matières sont utilisés pour fabriquer un ordinateur de 2 kg, dans un monde où des ruptures de stock ou des pénuries de certains métaux seront un enjeu alors que la demande mondiale pour des cellulaires, des ordinateurs, des objets connectés et des voitures électriques explose, et où il existe des risques géopolitiques associés au fait que des pays concentrent les ressources en certains métaux (p. 7 et 10). Même si la fabrication des appareils est la phase de leur cycle de vie qui émet le plus de GES dans notre pays (70 % de leur empreinte totale ; p. 8), il faut également considérer le trafic de données, stockées dans des centres de données qui peuvent se trouver dans des provinces ou pays où l’électricité est carbonée. Ce « trafic de données connaît actuellement une croissance de plus de 25 % par an, portée en grande majorité par les flux vidéo » (oui, oui, le streaming que nous faisons le soir pour décrocher, mais aussi que plusieurs font sur leur cellulaire pendant la pause) ; il est important de réaliser que « [s]ans changement majeur de trajectoire, il y a un risque important que le numérique gomme, voire annule, les efforts de réduction des impacts réalisés dans d’autres secteurs » (p. 9).

Beaucoup d’élèves ne comprennent pas le cout environnemental caché du numérique ; ainsi, comme exemple d’initiative pouvant atténuer les effets du réchauffement climatique, certain.es ont donné l’exemple de passer du papier aux tablettes (neuves, j’imagine…) pour toustes en classe. Il y a là une occasion d’introduire le concept d’analyse du cycle de vie, telle que menée par le Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG), ainsi que de mener une discussion sur les usages de chacun.e et sur l’importance (pour l’environnement, mais aussi pour la santé mentale) de réfléchir à une sobriété numérique qui nous convienne tout en respectant les limites planétaires.

Il faudra également mener une réflexion institutionnelle plus large sur l’utilisation du numérique prônée au cégep, dans l’ensemble de nos activités professionnelles (pas seulement celles des enseignant.es). Il est possible que des pas aient déjà été faits dans certains de ces domaines – n’hésitez pas à m’en faire part –, mais je pense au renouvèlement de notre parc informatique, au recours de plus en plus grand (que j’ai pu constater en seulement dix ans de carrière) aux courriels et aux MIO, à la multiplication des plateformes (dont je suis coupable, montant des cours dans Google Classroom alors que nous avons Omnivox), au recours aux GAFAM, etc. Bien sûr, des enjeux de sécurité des données, voire de réduction des GES (communiquer par courriel au lieu de se déplacer au cégep, par exemple) sont aussi à considérer, ce qui complique les réflexions et prises de décision… mais ne les rend pas moins nécessaires.

Enfin, une dernière considération « pour la route » : le trafic aérien. Connaitre son impact fait réfléchir : si on sait qu’un vol aller-retour New York-Paris émet 2,47 tonnes d’équivalent CO2 (Wagner, 2020, à partir d’une étude de Lee et al.) et que, si on veut ne pas dépasser le réchauffement de 1,5 degré qui est l’objectif de l’Accord de Paris signé en 2015, il faudrait diminuer notre empreinte carbone individuelle à 2 tonnes par année… on voit bien que prendre un vol transatlantique par personne par année n’est pas soutenable. (Actuellement, l’empreinte carbone d’un.e Québécois.e est de 9,9 tonnes ou d’environ 15 tonnes d’équivalent CO2, selon les sources.)

Quel est le lien entre l’aviation et l’enseignement ? Au-delà de la possibilité de discuter avec les élèves de cette empreinte et de la place du voyage (qui se fait très souvent en avion pour nous Québécois.es) dans notre imaginaire, il faut à mon avis entreprendre une réflexion collective sur la place qu’on accorde aux voyages internationaux en avion dans tout ce qui fait partie de la promotion de notre cégep et de ses programmes. Y a-t-il d’autres moyens d’amener nos élèves, ou en tout cas certains groupes d’élèves, à développer leur ouverture sur le monde ? Y a-t-il d’autres lieux accessibles en train ou en autobus, au Québec, au Canada ou aux États-Unis, où emmener des groupes et où ils pourraient vivre un dépaysement ? Souhaite-t-on plutôt, pour une partie des projets, valoriser l’engagement dans notre communauté ? Peut-on espérer sortir d’un modèle de compétition entre les cégeps qui nous oblige au markéting et au clientélisme, alors que nous sommes une institution d’enseignement et non une entreprise privée ?

Bref, avant de me rendre trop loin, je m’arrête ici sur ces quelques pistes de réflexion et de discussion, en espérant avoir de vos retours pour pouvoir continuer la conversation sur l’ERE dans notre enseignement au collégial. Bonne Semaine rimouskoise de l’environnement !

 

 Quelques ressources pour aller plus loin :

 

Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable (CIRAIG). 2022-2023. https://ciraig.org/index.php/fr/accueil/

 

Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté. Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté, Les Éditions du Centre’ERE, Université du Québec à Montréal, 2018. https://www.coalition-education-environnement-ecocitoyennete.org/la-strategie

 

Chemins de transition. Comment faire converger la transition numérique et la transition écologique au Québec dans un horizon de 20 ans ? Rapport final du défi numérique, 2022. https://cheminsdetransition.org/les-ressources/defi-numerique/

 

Descamps, Sarah, Gaëtan Temperman et Bruno De Lièvre. « Vers une éducation à la sobriété numérique. » Humanités numériques, no 5, 2022. https://journals.openedition.org/revuehn/2858

 

Wagner, Thomas. « Pourquoi arrêter l’avion ne devrait plus être un débat. » Bon Pote, 22 juillet 2020, mis à jour le 6 février 2023. https://bonpote.com/pourquoi-arreter-lavion-ne-devrait-plus-etre-un-debat/

 

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Notes

[1] Aussi ERE.E : éducation relative à l’environnement et à l’écocitoyenneté.