Alors voilà. L’heure de la retraite a sonné. Et même si ça paraît toujours un peu cliché, je peux vous assurer que je n’ai rien vu aller. Septembre 1986, c’était hier. J’avais vingt-trois ans. Et nous voilà trente-six ans et demi plus tard. Je l’avoue, c’est un peu troublant…
Quand on quitte pour la retraite, il y a plusieurs dernières. Les derniers cours, bien sûr, la dernière projection de film, les derniers échanges avec les étudiantes et les étudiants, avec ce que ça génère comme émotion (plusieurs d’entre vous le savent, je suis un grand sensible malgré mes fréquents coups de gueule syndicaux). Mais c’est aussi la dernière assemblée générale comme membre du SEECR, la dernière bière syndicale et aujourd’hui le dernier texte pour La Riposte. Ça me fait étrange. J’ai tellement écrit dans notre journal syndical. Ce journal si essentiel à notre vie collective. Pour informer, questionner, dénoncer, mobiliser et unir.
Prenez-en bien soin, de notre journal syndical. C’est précieux. Et surtout, nourrissez-le de vos réflexions, de vos lectures, de vos appréhensions. La Riposte est votre journal.
Nos pratiques syndicales
Prenez également un soin jaloux de nos pratiques syndicales. Des pratiques qui assurent une vie démocratique saine, qui gardent le pouvoir entre les mains des membres du SEECR et qui, surtout, favorisent la relève. Personne ne peut « s’installer » au syndicat. Et ça aussi, c’est précieux. Il n’y a rien de plus riche qu’une assemblée générale où l’on retrouve des dizaines de personnes qui se sont déjà engagées au Comité de coordination. Au SEECR, la mémoire et l’expertise ne demeurent pas entre les mains de quelques-unes ou de quelques-uns, elles se partagent. Et notre syndicat est fort de cette expertise partagée.
Des défis à venir
Il y a encore bien des défis à venir pour les membres du SEECR. En premier lieu, la négociation d’une nouvelle convention collective qui s’amorce. J’espère que cette négociation, en coalition avec nos collègues de la FNEEQ-CSN, permettra aux enseignantes et enseignants de cégep de faire des gains significatifs quant à la tâche d’enseignement. Il faut profiter du rapport de force que permet l’union de nos deux fédérations syndicales. Cette force syndicale peut vraiment être porteuse. Mais, petit conseil de vieux militant, assurez-vous de garder le contrôle sur cette négociation. Assurez-vous d’être consultés à chacune des étapes (particulièrement en fin de course) et de recevoir régulièrement de l’information. À la FEC-CSQ, nous avons cette pratique démocratique, même si ça alourdit parfois le processus. Assurons-nous de la maintenir dans le cadre de l’alliance.
L’autre défi qui attend les profs du réseau collégial est plus insidieux, plus sournois. Probablement plus exigeant à affronter, car tout s’est mis en place petit à petit, sur plusieurs années. Je parle bien sûr de l’obsession gestionnaire et de la perte de sens vécue dans nos cégeps.
En 2005, j’ai lu un livre qui m’a profondément troublé. La Société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et harcèlement social de Vincent de Gaulejac mettait en lumière des pratiques qui s’installaient peu à peu dans nos cégeps. Évaluation de l’enseignement, taux de réussite et de diplomation qui semble faire foi de tout (et de rien en même temps), critères de performance, plans stratégiques, contrôle de la qualité et tant de slogans creux et de petites cases à remplir dans des plans de travail et des rapports qui n’en finissent plus de s’accumuler. Au fil de cette dérive gestionnaire et de cette culture du contrôle, la comparaison entre les établissements a nourri une compétition malsaine et les directions se sont mises à axer davantage leurs efforts sur leur plan de marketing plutôt que sur le soutien à l’enseignement en classe. Le manque de financement est venu amplifier le problème, mais la vision marchande de l’éducation a néanmoins obnubilé la mission première de cégeps.
La raison d’être d’un cégep, c’est d’abord et avant tout l’enseignement. La relation profs-élèves. Sans ça, il n’y a rien. C’est simple. Et le lieu privilégié où se développe le sentiment d’appartenance et le plaisir d’être au cégep, c’est d’abord dans le choix d’un programme et dans la vie collégiale dans les départements. C’est là que s’inscrit l’acte d’enseigner, comme celui d’étudier. Il faudra donc travailler très fort afin de freiner cette culture gestionnaire.
Souvenirs et espoir
Lors de notre dernière assemblée générale, je me suis revu dans la vingtaine, assistant à mes premières rencontres syndicales. Je me rappelais comment je ne comprenais pas toujours les enjeux, mais aussi comment j’étais fasciné par l’éloquence, l’énergie et la verve de celles et ceux qui allaient devenir mes mentors syndicaux. Les Philippe Etchecopar, Gaétan Fortier, Christiane Tremblay, Daniel Mayrand, Lucien Roy, Céline Saint-Pierre, Claude Gaudreault ou Jean-Claude Drapeau. Des forces tranquilles aussi, qui, comme Gaétan Beaudoin, André Morazain ou Thérèse Pelletier, fermaient les débats avec des arguments sans appel. L’intelligence et la conviction au service de la lutte. Mais c’était hier et le SEECR a continué d’avancer.
Au cours des dernières années, j’ai vu avec bonheur la relève syndicale prendre sa place. De nouvelles voix s’élèvent, débattent et proposent. De nouvelles personnes plongent à leur tour en prenant un poste au syndicat. Le SEECR est entre bonnes mains. Et les profs du Cégep de Rimouski sont à la fois privilégiés et responsables de cette vie syndicale dynamique et combative. Un syndicat à leur image, qui allie lutte syndicale et lutte sociale. Un syndicat bien ancré dans la région et un syndicat qui a toujours pris sa place également au national, dans les différentes fédérations où nous avons milité.
En terminant
Je ne peux pas vous laisser sans prendre le temps de remercier toutes celles et tous ceux qui ont salué mon départ au cours des derniers jours. Ça me touche énormément. Je veux également remercier toutes les personnes avec qui j’ai milité à divers moments au Comité de coordination syndicale durant toutes ces années. Celles et ceux qui se sont également engagés dans les différents comités syndicaux, celles et ceux qui, au détour d’un corridor, s’arrêtaient pour m’encourager et me soutenir dans la tempête, mais aussi pour souligner nos victoires. Et il y en a eu, des victoires importantes. La modification du mode de financement des cégeps en région est possiblement la plus significative remportée au cours des dernières années. Mais il ne faut surtout pas baisser la garde. D’autres luttes vous attendent.
Et dans toutes ces luttes à venir, je serai de tout cœur avec vous.