Vous rappelez-vous de la situation qui faisait la une partout au Canada avant la pandémie ? En février et en mars 2020, d’un océan à l’autre, les journaux canadiens étaient pleins de la « crise autochtone », aussi appelée la « crise ferroviaire » par certains. On entendait parler de blocus et de manifestations en réponse au projet de construction du gazoduc Coastal GasLink sur les territoires du peuple Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique.
Dans les médias, on nous rappelait quotidiennement que certains groupes autochtones prenaient l’économie canadienne en otage, empêchant passagers et marchandises de circuler librement. Ils privaient des compagnies de jouir pleinement du potentiel de développement économique que leur avaient alors confirmé les cours fédérale et provinciale à grands coups d’injonctions. Plusieurs citoyens et même certains premiers ministres provinciaux exigeaient des actions immédiates et musclées. Il était en effet inadmissible, selon eux, que l’économie canadienne perde quotidiennement des millions de dollars pendant plusieurs semaines. Des emplois étaient en jeu. Encore une fois, en période de crise, les médias se concentraient sur les conséquences de la crise et nous parlaient très peu de ses causes.
Imaginez-vous maintenant être une ou un autochtone, d’hier ou d’aujourd’hui. Imaginez-vous, Innue parcourant librement les lacs, les rivières et les forêts à la fin du XIXe siècle. Puis, imaginez-vous vous faire imposer la sédentarisation et la « modernité » dans une toute petite « réserve indienne » par le gouvernement canadien. Ceci alors même que des individus ou des compagnies forestières et minières se voient attribuer, par ce même gouvernement, le droit d’exploiter les terres (clubs de chasse et de pêche privés, coupe de bois, hydroélectricité, etc.) que vous parcouriez librement depuis votre naissance. Imaginez-vous petite Anishnabe en 1960, vous faisant retirer de votre famille puis placer dans un pensionnat. Vous n’avez plus le droit de communiquer avec vos parents. Vous n’avez plus le droit de communiquer dans votre langue maternelle. Vous êtes même violentée physiquement. Imaginez-vous Micmac vivant en 2020 et vous battant, encore, pour la survie de votre langue, de votre culture et de vos droits. Comme l’a écrit Gérald Godin, il serait alors possible que vous en ayez votre « maudit tabarnaque de cinciboire de cincrèmes de jériboires d’hosties toastées de sacrement d’étoles de crucifix de calvaire de couleuré d’ardent voyage. »
En prenant un peu de recul, on comprend vite que cette « crise autochtone » n’a pas duré que quelques semaines. La « crise autochtone » dure depuis des siècles. Et ce n’est pas en déplaçant quelques manifestants des voies ferrées ou en traversant une pandémie qu’elle s’est réglée. Les membres de la classe politique, les gens d’affaires, les monsieurs et les madames Tout-le-Monde qui le croient ont la vue bien courte. Les trains ont recommencé à circuler. Bien sûr. Mais la cause de la crise reste. Le « territoire canadien » appartient-il au peuple canadien ? Le « territoire canadien » appartient-il au gouvernement fédéral ? Appartient-il aux compagnies et aux individus qui se sont vus octroyer le droit de l’exploiter ? Appartient-il aux autochtones ? Qui, au départ, a donné le privilège au roi de France ou à la couronne britannique de concéder des droits sur des terres canadiennes ? Qui a le droit de décider ce qu’il en advient ? Que doit-on faire de la « Loi sur les Indiens » ? Etc.
Ce territoire que j’ai tant de plaisir à habiter, explorer et découvrir, d’autres l’exploitent, l’explorent, le découvrent et s’y épanouissent depuis des milliers d’années. Puissions-nous trouver une façon de le faire ensemble dans le respect, de manière durable et pacifique