Le réseau collégial a passablement fait les manchettes au cours des dernières semaines. Nous aurions dû nous réjouir de tant d’attention et de visibilité en pleine période de demandes d’admission, mais force est de constater que les nouvelles ont plutôt offert une image anarchique d’un réseau d’enseignement qui semble véritablement en déroute.
Anglicisation de nos jeunes, sous-financement chronique, palmarès des cégeps, concurrence, marchandisation de l’éducation, création de DEC bilingues, plan de marketing et quoi encore? Autant d’épithètes illustrant comment la planète Cégep semble vivre une crise identitaire profonde. Même le PDG de la Fédération des cégeps en remettait tout récemment, se disant emballé à l’idée d’ouvrir un campus bilingue dans l’ouest de Montréal, parce qu’il y a là « un marché » à couvrir… C’est vrai que, « tant qu’à faire de la business éducationnelle, aussi ben le faire en bilingue, simonac », dirait Elvis Gratton.
En fait, nous le constatons depuis plusieurs années, le réseau collégial, qui n’a plus de réseau que le nom, s’est peu à peu métamorphosé au profit d’établissements autonomes, qui se livrent à une lutte fratricide et à une course effrénée à la « clientèle », arborant fièrement leurs couleurs locales et leurs particularismes. Des établissements succombant à la logique marchande de la compétition et de la séduction, cherchant à n’importe quel prix et dans n’importe quelle langue (lire l’anglais, parce que ça se vend mieux) à se démarquer du collège voisin. Des établissements également empêtrés dans la logique gestionnaire, où « l’image de marque » et la vision affairiste semblent parfois prendre le pas sur l’enseignement, pourtant la mission première de nos institutions.
Nous assistons à une sorte de fuite en avant, guidée par les nouvelles chimères des vendeurs idéologiques de « pratiques d’enseignement à impact élevé » (sic), de « systèmes d’assurance qualité » (re-sic) et autres mirages technopéda[gogo]giques. Le langage technocratique a la cote et gagne nos institutions, transformant en profondeur notre façon de concevoir notre responsabilité éducative. De gardiennes et gardiens d’un enseignement humaniste, nous sommes en voie de devenir de simples exécutants soumis aux diktats du marché du travail, de l’approche managériale, des nouvelles lubies pédagogiques et d’une forme de dictature technologique. Le Cégep inc., PME de l’enseignement supérieur, est peut-être malheureusement à nos portes.
Et si on disait simplement NON?
Les dernières semaines ont été difficiles pour les cégeps. Des voix se sont élevées pour dénoncer les dérives clientélistes, la marchandisation de l’enseignement et le marketing anglomane de plusieurs directions de cégep. La dernière déclaration jovialiste du PDG de la Fédération des cégeps, qui ne voit aucun problème à ouvrir un nouveau campus bilingue à Montréal, illustre bien cette course folle à la clientèle et surtout cet aveuglement volontaire qui anime une partie des gestionnaires du réseau collégial qui se voit comme des entrepreneurs de l’enseignement supérieur.
Difficile parfois de garder le moral devant tant d’inepties. Difficile de ne pas hurler son désarroi face à cette lente mise au rancart d’un réseau auquel on croit véritablement et auquel on a consacré une partie de sa vie et de sa passion. Mais n’est-ce pas là le propre de l’enseignement que de poser un regard critique sur diverses situations? De questionner, de dénoncer, de résister? Au cours des prochaines semaines, des prochains mois et possiblement des prochaines années, nous aurons fort à faire pour freiner cette parade gestionnaire. Nous devrons une fois encore nous opposer localement et nationalement à cette conception entrepreneuriale de l’enseignement collégial. Jouer le rôle qui nous sied le mieux : éduquer.