Compte rendu d’une conférence présentée le 21 février 2019 au Réseau des femmes de la CSQ
Le Québec a excellente réputation en matière d’égalité hommes/femmes et en effet, nous pouvons regarder avec fierté les avancées faites ces cinquante dernières années grâce à des mesures comme les congés parentaux, l’équité salariale et le réseau de garderies abordables. Aujourd’hui, les femmes représentent 48 % de la population active au Québec.
Mais depuis cette poussée, que s’est-il passé? Des écarts de rémunération injustifiés, de l’ordre de 10 %, persistent — c’est cet écart que nous retrouvons, par exemple, entre les professeurs et les professeures de l’Université de Montréal. Nous constatons également une forte ségrégation occupationnelle : les femmes sont surreprésentées dans certains types d’emplois (précaires) et dans certains secteurs (traditionnellement féminins), et sous-représentées dans les emplois les mieux rémunérés et offrant le plus d’avantages sociaux. En conséquence, elles sont moins nombreuses au sommet des hiérarchies organisationnelles : elles occupent 25 % des postes de pouvoir au Québec et sont moins de 20 % à siéger au sein de conseils d’administration d’influence. En fait, tous les grands indicateurs d’égalité professionnelle stagnent depuis 2004.
Recherche en cours
Comment intervenir dans un système qui semble presque systématiquement déclasser les travailleuses? Émilie Genin et Mélanie Laroche, professeures à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal, mènent actuellement une étude visant à mieux comprendre le rôle que jouent les employeurs dans la mise en place de mesures favorables à l’égalité professionnelle. Pour ce faire, elles documentent les pratiques et les politiques d’égalité professionnelle ou de gestion de la diversité. À partir des données recueillies, elles souhaitent cerner les pratiques les plus efficaces.
Les résultats qui nous ont été présentés lors du Réseau de la condition des femmes étaient encore préliminaires, mais quelques données se distinguent tout de même. Par exemple, nous constatons que seulement 29 % des organisations ayant répondu à l’enquête (soit 292 au moment où la présentation a eu lieu) ont un programme formel en matière d’égalité professionnelle ou de gestion de la diversité (cela comprend le programme d’accès à l’égalité auquel sont soumis certains organismes et entreprises). De façon plus globale, ce sont 33 % des organisations qui ont établi des objectifs en matière d’égalité professionnelle ou de gestion de la diversité. Si ces données montrent que les organisations ne brillent pas particulièrement par leurs efforts pour contrer les inégalités professionnelles, ce n’est rien à côté de ceci : des entreprises qui se fixent des objectifs, aucune (0 %) n’établit d’indicateurs de suivi de ces objectifs. Les organisations semblent donc surtout vouloir se donner bonne conscience (ou se conformer à des exigences) en se dotant d’objectifs, dont l’atteinte n’est jamais mesurée — ni même mesurable…
L’impact de la direction
Plus précisément, les chercheuses ont voulu savoir quelles étaient les pratiques de gestion de carrière des femmes : programmes de la relève spécifiques pour les femmes, de détection des femmes à « haut potentiel », de mentorat; formations sur les biais et les préjugés à l’égard des femmes... Résultat : la proportion des organisations dans lesquelles se retrouvent ces pratiques oscille entre 6 et 9 %. La seule pratique qui se « démarque », avec un taux de présence de 15 %, est celle du réseau de femmes professionnelles ou cadres. Il faut dire que c’est aussi la plus simple à mettre en place et qu’elle repose en bonne partie sur l’engagement des femmes impliquées, plutôt que sur une réelle volonté de l’entreprise de combattre les inégalités. L’étude montre d’ailleurs que seulement 50 % des directions d’organisations s’impliquent dans le dossier. Et si 31 % affirment prendre en considération les enjeux d’égalité professionnelle, moins de 10 % confient le dossier à un cadre. Ou, pour le dire autrement, lorsque l’égalité professionnelle est prise en considération, le dossier, dans 82 % des cas, est confié à une personne ne détenant aucune autorité au sein de l’organisation. Bonne chance pour faire changer les choses…
Le désengagement de la moitié des directions d’organisations est particulièrement décevant lorsqu’on constate que c’est le facteur qui aurait le plus grand impact sur la présence de politiques d’égalité professionnelle ou de gestion de la diversité, lesquelles encourageraient l’implantation de pratiques de gestion de carrière des femmes. Mais encore là, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité même de ces politiques puisque leur présence n’aurait, selon les données préliminaires de l’étude, pas d’impact sur le pourcentage de femmes dans les organisations. L’implication de la direction serait également un facteur déterminant dans la mise en place de mesures de conciliation emploi-famille. C’est donc dire que nous nous situerions encore dans un système où les changements doivent partir du haut.
Et les syndicats?
L’une des surprises des chercheuses a été de découvrir que, selon les coefficients de corrélation obtenus, les syndicats n’auraient pas d’impact sur l’égalité professionnelle. Ainsi, si la présence des syndicats est corrélée positivement à la présence de politiques d’égalité professionnelle, c’est possiblement simplement en raison du fait que, les syndicats, tout comme les politiques d’égalité professionnelle, seraient plus présents dans les organisations de plus grande taille. En effet, si on y regarde de plus près, la syndicalisation influencerait négativement les mesures de gestion de carrière des femmes : il y a moins de mesures dans les milieux syndiqués que dans les autres. De plus, les syndicats ne semblent pas jouer de rôle dans la mise en place de mesures de conciliation emploi-famille. En fait, la présence de syndicats serait même corrélée négativement à la mise en place d’horaires flexibles, comme quoi les conventions collectives, si elles permettent d’obtenir des conditions de travail et des avantages sociaux tant pour les femmes que pour les hommes, imposent aussi un cadre de travail plus rigide.
J’y ai toujours cru profondément : les syndicats sont essentiels et ils travaillent avec beaucoup de passion et de dévouement à la défense des droits de leurs membres. Les données préliminaires que je vous rapportais plus haut m’ont cependant amenée à m’interroger : comment se fait-il que les actions des syndicats, ceux-là mêmes qui devraient consacrer leur énergie à ce que les travailleuses soient reconnues, ont si peu (ou pas) d’effet sur leur représentation? D’ici à ce que les chercheuses nous apportent des réponses un peu plus précises sur ce point, qui les a d’ailleurs intriguées, on peut déjà réfléchir aux gestes concrets que nous pourrions poser afin de permettre aux femmes d’accéder à la représentativité qui devrait être la leur. Votre comité local de la condition des femmes sera plus qu’heureux de vous voir vous joindre à la discussion!