Les Bourdes Perspectives…

Julie McDermott, responsable des affaires pédagogiques et enseignante en techniques de travail social

Au cours des derniers mois, l’Opération main-d’œuvre du Gouvernement du Québec a été annoncée. Cette opération vise à s’attaquer à la pénurie de main-d’œuvre au Québec, dans « les services publics essentiels ainsi que dans les domaines stratégiques pour l’économie1 ». Des bourses incitatives Perspective Québec seront offertes aux étudiants et aux étudiantes dans une vingtaine de programmes collégiaux (et plusieurs programmes universitaires). Au Cégep, celles et ceux inscrits dans les programmes ciblés pourront recevoir 1500$ par session, pour un total de 9000$ pour leur formation. À l’ordre universitaire, ce montant pourra s’élever jusqu’à 20 000 $ pour un programme de quatre ans.   

 

Les enseignantes et les enseignants du Département de travail social ont rapidement constaté que leur programme, Techniques de travail social (TT), ne figurait pas parmi les formations ciblées. Pourtant, nous savons qu’il y a un manque criant de personnel, autant dans le réseau public (CISSS, DPJ, écoles, etc.) que dans les organismes communautaires. Des employeurs nous contactent régulièrement, nous envoient des offres d’emploi et embauchent des étudiantes ou des étudiants avant même qu’ils aient terminé leur formation. Nous avons aussi vu, dans les dernières semaines, des organismes devant réduire leurs services, leurs heures d’ouverture ou même fermer temporairement faute de personnel. La question se pose : pourquoi avons-nous été oubliés dans ce programme de bourses? D’autant plus que le Baccalauréat en travail social, lui, y est inclus. Pourtant, le compte est facile. Cela prend au minimum 5 ans pour former un bachelier alors qu’un technicien peut être prêt à intégrer le marché du travail après 3 ans. Bien sûr, certains actes sont réservés aux bacheliers, qui font partie de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux. Mais les techniciens ont leur place depuis maintenant 50 ans sur le marché du travail, ils sont compétents et peuvent effectuer plusieurs tâches dans différents secteurs d’emploi. 

 

Une analyse un peu plus approfondie de ce système de bourses nous amène d’autres questions. Plusieurs autres programmes ont été exclus : technologie d’analyses biomédicales, radiodiagnostic et échographie, pour n’en nommer que quelques-uns. Pourtant, ce sont des programmes avec de petites cohortes et les diplômés sont extrêmement en demande. Nous savons à quel point le système de santé est malmené par les temps qui courent. Cette décision nous semble aller complètement à l’encontre des besoins actuels. 

 

Sur le fond, nous pouvons aussi nous demander si cette mesure est une bonne idée. Pourquoi favoriser un programme plutôt qu’un autre? Est-ce que tous les métiers n’ont pas leur utilité dans notre société? Est-ce que cela vient, une fois de plus, dévaloriser des programmes qui ne sont pas « payants » ou rentables en termes économiques? Les programmes préuniversitaires pourraient craindre de perdre des étudiants au profit de techniques admissibles aux bourses alors que des techniques se feront compétition entre elles pour attirer des étudiants, malgré ces bourses. Et finalement, est-ce que l’enseignement supérieur a comme seule utilité de former de futurs travailleurs? Qu’en est-il de sa mission d’instruire et d’outiller de jeunes citoyens face aux enjeux sociaux, politiques, économiques et environnementaux? Cette question revient sur la table de façon régulière depuis quelques décennies, n’est-ce pas? Encore une fois, nous craignons que notre mission première soit mise à mal par des préoccupations purement idéologiques et financières.

 

Pour en revenir au programme TTS, le Regroupement des Enseignantes et Enseignants Collégiaux en Travail Social du Québec (REECETSQ), ainsi que le Département de TTS du Cégep de Rimouski ont interpellé la ministre de l’Enseignement supérieur du Québec, Mme Danielle McCann, afin que cette dernière intervienne immédiatement pour que la Technique de travail social soit ajoutée à la liste des programmes reconnus pour l’obtention des bourses Perspective Québec. D’ailleurs, l’Assemblée générale du SEECR a donné son appui à cette démarche lors de la réunion du 25 janvier dernier. Nous agissons dans l’urgence car nous craignons qu’à court terme, notre programme, habituellement contingenté, perde des plumes. Nous sommes aussi inquiets de la pénurie de main d’œuvre dans notre profession, qui entraîne des bris de services pour des populations vulnérables qui ont de grands besoins. D’ailleurs, nous invitons tous les membres du SEECR à signer la pétition à cet effet avant le 21 février. Elle est disponible sur le site de l’Assemblée nationale : 

https://www.assnat.qc.ca/fr/exprimez-votre-opinion/petition/Petition-9407/index.html

 

Toutefois, nous sommes conscients du problème bien plus large que pose ce système de bourses. Il nous faudra une mobilisation plus grande et plus forte pour demander une révision en profondeur de ce système, ainsi que des mesures concrètes pour assurer l’accessibilité aux études supérieures, dans un contexte où le coût de la vie n’a jamais été aussi élevé. 

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Notes

1. GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE, Programme de bourses Perspective Québec, https://www.quebec.ca/gouv/ministere/travail-emploi-solidarite-sociale/publications/operation-maindoeuvre/bourses-perspective (Page consultée le 30 décembre 2021).