Appliquer la Loi 101 au cégep? C’est urgent!

Alain Dion, enseignant de cinéma

« Mommy, mommy, how come we lost the game
Oh mommy, mommy, are you the one to blame
Oh mommy, tell me why it's too late, too late
Much too late »

Ce sont les mots de la très belle, mais si triste chanson de Marc Gélinas et Gilles Richer, magnifiquement interprétée par Pauline Julien, qui résonnent dans ma tête quand je lis et entends dans différents médias ces derniers mois que la langue française au Québec vit un véritable déclin. Toutes les études le démontrent. L’Office québécois de la langue française1 vient de publier une nouvelle analyse qui confirme que les milieux de travail s’anglicisent, que les communications avec la clientèle et l’affichage publicitaire s’anglicisent également. Bref, que l’usage courant du français est constamment en baisse.

D’autres études menées par les chercheurs Frédéric Lacroix2 et Charles Castonguay3 mettent en lumière comment l’enseignement supérieur, les cégeps en premier lieu, contribue à cette anglicisation de la société québécoise. Et ce phénomène s’accentue d’année en année. Plus de la moitié des jeunes poursuivant leurs études dans des cégeps anglais présentement sont francophones ou allophones. Ce sont donc des milliers d’étudiantes et d’étudiants qui ont très majoritairement tendance à poursuivre leurs études à l’université en anglais et, au sortir de leur formation, à travailler en anglais.

C’est face à ce constat extrêmement inquiétant qu’apparaît la nécessité d’appliquer la Loi 101 aux cégeps. Il faut freiner cette anglicisation galopante d’une partie de notre jeunesse. Une jeunesse déjà fortement bilingue, abreuvée aux médias, aux films, à la musique et aux jeux vidéos en anglais. Il faut donc trouver une façon de renverser la vapeur et de mettre en valeur le prestige et la dignité d’étudier, de travailler et de vivre en français. 

 Du financement de moins pour le réseau francophone 

En plus de contribuer à l’anglicisation de la société québécoise, cette migration des jeunes francophones et allophones vers les cégeps anglophones vient également mettre une pression supplémentaire sur le financement de l’enseignement collégial en français. Le réseau est déjà aux prises avec un sous-financement chronique (nous en savons quelque chose en région), et cette saignée de l’effectif étudiant vers les cégeps de langue anglaise vient à la fois compromettre le maintien de certains programmes d’études et, surtout, elle alourdit la tâche enseignante qui souffre cruellement d’un manque de ressources. 

 En ce sens, le libre choix d’étudier en français ou en anglais prôné par la Fédération des cégeps, fédération représentant les directions des cégeps, est totalement irresponsable. Difficile d’ailleurs de comprendre comment les directions des cégeps francophones adhèrent à une telle position suicidaire.

 Des pertes d’emplois ?

Certains opposants à cette mesure soulignent que l’application de la Loi 101 aux cégeps risque de mener à des pertes d’emplois dans certains collèges anglophones. C’est possible, en effet. Mais il serait peut-être bon de rappeler qu’une bonne partie des emplois créés dans le réseau anglophone ces dernières années s’est faite au détriment du réseau francophone et que bien des profs du réseau francophone en ont subi les contrecoups. 

Il est par ailleurs assez déplorable que des organisations syndicales comme la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) s’opposent à l’application de la Loi 101 aux cégeps (sans avoir consulté les assemblées générales en passant), en prétextant qu’elles ont le devoir de défendre leurs membres. J’aimerais bien savoir ce que répondent ces organisations syndicales aux enseignantes et enseignants des cégeps francophones qui sont mis en disponibilité parce que l’effectif étudiant se dirige maintenant vers les cégeps anglophones? Que répondent-elles aux profs précaires du réseau francophone qui ont perdu leur emploi et qui voient un cégep comme Dawson obtenir une subvention de 100 millions de dollars pour s’agrandir? Que dire à celles et ceux qui aspirent à enseigner dans les prochaines années dans le réseau collégial? Allez enseigner en anglais? 

Cette position syndicale est intenable. À moins bien sûr de privilégier certains membres au détriment des autres. Ce sont pourtant les mêmes cotisations syndicales qui font vivre ces organisations. Le débat sur la langue d’enseignement va bien au-delà d’une posture corporatiste discriminatoire. L’application de la Loi 101 aux cégeps est un véritable débat de société dont l’enjeux est la défense et valorisation de la langue française au Québec. 

Et nous ?

L’Assemblée générale du SEECR a déjà adopté cette proposition en 2015. Nous avions  alors réussi à faire remonter cette idée jusqu’au Congrès de la CSQ. Malheureusement nous n’avions pas réussi à la faire adopter. Mais aujourd’hui, la situation est encore pire et les études démontrent qu’il y a véritablement urgence de remédier à la situation. Et nous pouvons influencer le cours des choses en soutenant à nouveau cette proposition.

Ne pas intervenir et laisser aller la situation présentement, ce serait accepter de lentement voir mourir la langue qui nous a mis au monde. Qu’aurons-nous à répondre le jour où nos petits-enfants ou arrière-petits-enfants demanderont : «Oh mommy, mommy, are you the one to blame?»

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Notes
1. Office québécois de la langue française, Langues utilisées dans diverses situations de travail au Québec en 2018, OQLF, 2021 (https://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/sociolinguistique/2021/etude-langues-utilisees-situations-travail-2018.pdf).
2. Frédéric Lacroix, Un «libre choix» ? : cégeps anglais et étudiants internationaux, Mouvement Québec français, 2021.
3. Charles Castonguay, Le français en chute libre : la nouvelle dynamique des langues au Québec, Mouvement Québec français, 2021.