Quelques réflexions sur le palmarès des cégeps

Benoît Collette, enseignant de Science politique

Le 12 février, le Journal de Montréal (et de Québec) publiait une seconde version du palmarès des cégeps, qui avait fait couler beaucoup d’encre, l’an dernier. Vous avez sans doute vu l’article au sujet du Cégep de Rimouski, qui, selon le journal, semble se démarquer cette année. La Fédération des cégeps s’oppose à la chose, ce qui n’a pas empêché les directions trônant au sommet d’en profiter pour vanter leurs établissements. Au-delà de l’opération (facile) de relations publiques qui en découle et qui sent l’effet wow, quelle est la valeur d’un tel exercice?

La grosse différence avec le palmarès de l’an dernier est l’utilisation d’un modèle statistique pour prédire le taux de réussite des cégeps en tenant compte de certaines variables comme la moyenne au secondaire. Ceci permet, selon le journal, de calculer un «effet cégep» : si le taux de diplomation réel dépasse le taux prédit, l’effet sera positif, sinon, il sera négatif. Cet effet refléterait la «performance» de chaque établissement. «L’effet cégep» a fait dégringoler les cégeps anglophones qui, même s’ils ont de bons taux de réussite, accueillent, à la base, un effectif avec d’excellents résultats au secondaire. Au contraire, certains cégeps avec des taux de réussite moins élevés ont un meilleur score grâce à cet effet, car le taux de diplomation est plus grand que prévu.

La méthodologie s’inspire de celle produite par Richard Marceau de l’École nationale d'administration publique (ÉNAP) pour le palmarès des écoles, développé au début du siècle. Dans le palmarès original, la mesure de «l’effet école» était passée sous silence chaque année, mais elle reposait sur la mesure de certaines variables sociodémographiques (taux d’élèves en situation de handicap, revenu des parents, etc.) pour calculer si l’école améliorait les probabilités de réussite des élèves (ou non). Évidemment, les écoles privées élitistes s’en tiraient à meilleur compte de manière générale, mais «l’effet école» révélait parfois des surprises. Or, dans la documentation fournie par le Journal de Montréal, contrairement à une étude scientifique, on ne sait pas de quelle manière le modèle opère et on ne peut pas connaître quelles sont les différentes variables utilisées. Est-ce que le taux d’élèves en situation de handicap est inclus? La différence entre les cégeps de 1er tour et ceux de 3e et 4e tours? L’âge? Le sexe? Bref, la méthodologie est opaque et ne permet pas de critiquer ni de répliquer le modèle. Ensuite, les auteurs en conviennent : « L’évaluation varie d’un cégep à l’autre, ce qui peut avoir une incidence sur le taux de diplomation » (section « Voici notre outil pour comparer la performance des cégeps »). Contrairement au secondaire qui peut compter sur les épreuves ministérielles, la comparaison des cégeps est un exercice forcément plus difficile.

Les modèles statistiques sont aussi bons que ce qu’ils mesurent, dit-on en sciences sociales. C'est une remarque qui nous ramène à la question fondamentale : qu’est-ce que la réussite au niveau collégial? Est-ce que le taux de diplomation deux ans après la durée prévue des études, qui constitue l’étalon de référence pour le ministère de l’Éducation, demeure la meilleure mesure de la réussite au collégial? Peut-on vraiment réduire la réussite à l’obtention d’un diplôme deux ans après la date prévue? Tout ceci sans compter les défis que représentent les problèmes de santé mentale (de tout le monde) et l’augmentation du nombre d’élèves en situation de handicap, par exemple. C’est dans ce contexte que le ministère de l’Enseignement supérieur lançait au début du mois le Chantier sur la réussite en enseignement supérieur, avec quatre grands axes : 

  • favoriser l’accès du plus grand nombre à l’enseignement supérieur;

  • favoriser des transitions harmonieuses et de qualité en enseignement supérieur;

  • déployer des pratiques et des mesures adaptées aux besoins de la communauté étudiante afin de la soutenir dans toute sa diversité;

  • consolider les connaissances en matière de réussite et en assurer la diffusion.

Un beau projet, mais qui pourrait n’accoucher que de demi-mesures et de vœux pieux. Comme le rappelait Lucie Piché, présidente de la FEC-CSQ : « Si on ne réfléchit pas globalement à l’éducation, au sens de l’éducation, à sa place, bien on va juste mettre des mesures. On les additionne et là, vous êtes censés augmenter vos taux de réussite avec ça, parce que vous avez mis tant de mesures. Il faut réfléchir plus globalement à l’accessibilité et à la réussite1. »

N’oublions pas que le cégep est plus qu’une boîte à diplômes, c’est aussi un milieu de vie.  Les années de cégep constituent une époque marquante pour plusieurs, jeunes et moins jeunes, une belle étape où l’on obtient un papier certes, mais où l’on fait des découvertes, on développe de nouveaux intérêts, de nouvelles amitiés, bref, un passage à l'âge adulte. Mais cette réalité cadre moins bien dans la belle vision corporatiste du réseau, où la compétition prime et où les établissements tentent désespérément de se démarquer les uns des autres, une réalité parfaitement illustrée par le palmarès, avec ses champions et ses cancres.

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Note

  1. PRESSE CANADIENNE, « Québec lance une consultation sur l’enseignement supérieur », Radio-Canada (1er février 2021), https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1767417/enseignement-superieur-chantier-reussite-accessibilite (page consultée le 21 février 2021).