Soins infirmiers, la réalité

Julie Paulin, coordonnatrice du département de Soins infirmiers

Oublions le froid et la neige pendant quelques minutes et revenons en août. L’été tire à sa fin, nous voilà à la rentrée scolaire 2019-2020. Mon équipe et moi avons hâte de retourner au travail, de rencontrer les nouvelles étudiantes et les nouveaux étudiants de 1re année, de revoir les 2e rendus à mi-parcours et bien sûr, les 3equi amorcent la dernière ligne droite avant d’obtenir leur diplôme en Soins infirmiers au Cégep de Rimouski.

Cependant, à cette même rentrée se greffe un sentiment de doute, d’inquiétude et de colère au sein de l’équipe enseignante. Nous débutons la session avec 2,3 équivalents temps complet (ETC) à combler au sein de l’équipe enseignante de même que 196 heures au laboratoire (travaux pratiques). Un manque qui était pourtant connu lorsque nous avons quitté en mai dernier. Pourquoi ces 2,3 ETC ne sont-ils pas comblés plus de deux mois plus tard? Pourquoi le contrat de 30 % pour une technicienne ou un technicien en travaux pratiques (TTP) n’est-il toujours pas signé? Ces questions demeurent, encore aujourd’hui, sans réponse précise! Notre liste de personnel était pourtant épuisée, nous n’avions plus personne en banque et nous en avions avisé la Direction du Service des ressources humaines. Pourquoi aucune entrevue n’a été faite à la fin de la session précédente? Cette situation soulève beaucoup d’indignation chez les membres du département.

Le matin même de la rentrée du personnel enseignant, le 12 août, nous apprenons que ce chiffre, déjà suffisamment élevé, grimpe à 3,3 ETC puisqu’un membre du département (permanent à temps complet) sera absent pour une durée indéterminée. Ce jour-là, le département de Soins infirmiers participe à la journée d’accueil. Nous conservons notre habituel sourire tout en sachant très bien que la session débutera encore une fois sur les chapeaux de roues. Encore une fois, effectivement, car cette situation de pénurie est monnaie courante au sein du département, et ce, depuis de nombreuses sessions.

Le 16 août, nous recevons les chiffres réels de notre effectif étudiant. Nous avons peine à y croire : un élève supplémentaire est ajouté en 3e année, sans avis préalable, ce qui engendre un 7e groupe de stage. Un groupe supplémentaire pour lequel je n’ai pas de milieu de stages à offrir, les milieux ayant tous été réservés depuis le début juin, et pour lequel je n’ai pas d’enseignante ou d’enseignant disponible. Il faut considérer que nous ne sommes pas le seul établissement d’enseignement à utiliser les milieux de stages de la région.

L’ajout de cet élève en 3e année demande 1 ETC supplémentaire, mais une baisse d’élèves en deux années occasionne un rapatriement des ressources. Nous devons recalculer nos tâches, enlever des ressources en 2e année pour en injecter en 3e année et au final, nous recevons un maigre 0,252 ETC de surplus. Une fois ces ressources déplacées, nous nous retrouvons avec 3,4 ETC à pourvoir au lieu de 4,3 — mince consolation. Concrètement, cela signifie qu’il manque des ressources enseignantes pour 68,5 périodes de théorie, 50 périodes de laboratoire, 44,5 périodes de préparation d’examen et de correction des travaux écrits et 960 périodes de stage! Sans oublier 231 heures au laboratoire, parce que, devant l’urgence de la situation, nous devons remplacer des enseignantes et des enseignants par un TTP pour des pratiques de laboratoire. Heureusement, deux semaines plus tard, deux enseignantes à temps complet joignent l’équipe.

Des chiffres et des personnes

Mis à part les chiffres, de vraies personnes sont affectées par la situation, des collègues comme vous et moi, qui doivent préparer de nouvelles leçons, des responsables qui doivent recalculer encore une fois de plus les tâches enseignantes, la coordination qui fait des pieds et des mains pour trouver des places de stages, et j’en passe. Tout au long de la session, nous avons préservé nos élèves et absorbé les contrecoups pour leur éviter les dommages collatéraux. Ces sacrifices ne sont pas sans conséquence : un niveau de stress malsain, un surcroît de travail laborieux, du découragement, etc. Sans oublier les nombreux étudiants et étudiantes qui posent des questions, car en regardant leur horaire, les enseignants fictifs « X » et « Y » reviennent trop souvent. Le pire dans toute cette histoire, c’est qu’il s’agit d’une situation déjà vue au sein du département de Soins infirmiers. Découragés, mais surtout très en colère, des membres de l’équipe et moi-même avons rencontré notre syndicat durant cette première semaine de cours fort éprouvante. Accueillant et très à l’écoute, il nous a offert le soutien dont nous avions besoin. Le jour même, la problématique a été dénoncée aux instances concernées. Le 20 août, une rencontre a eu lieu entre la direction des Études, la direction du Service des ressources humaines, la coordination du département et le syndicat. Malheureusement, à la fin de cette rencontre, et ce, malgré l’insistance du syndicat, les mêmes questions demeurent sans réponses!

Assez, c’est assez

Nous avons laissé la session débuter, nous avons comblé entre nous les besoins nombreux, toujours en respectant notre conviction, celle que les élèves ne doivent manquer de rien. Ce principe ne nous nuit-il pas? Est-ce que le Cégep se fie à cette loi non écrite dans laquelle nous sommes nous-mêmes pris au piège et nous laisse, finalement, nous débrouiller seuls?

Ces questions, nous les avons abordées en réunion départementale et nous avons émis une résolution mentionnant qu’à partir du 7 octobre 2019, aucune heure supplémentaire de stage ne serait faite par les enseignantes et les enseignants. 

À partir de ce geste, le cégep s’est mis en action — entrevues, coups de fil et annonce sur les médias sociaux — pour trouver des ressources. En date du 3 octobre, le département a retrouvé un certain équilibre et nos besoins sont maintenant tous comblés.

Au final, seulement une journée de stage fut annulée. Mais pourquoi devoir se rendre jusqu’à ce point de non-retour? Pourquoi attendre à la dernière minute avant de trouver du personnel? Pourquoi mettre les enseignants et enseignantes à rude épreuve, leur causant stress et insomnie? Notre but commun n’est-il pas le même, celui d’offrir un enseignement de qualité à nos élèves?

Assez, c’est assez, l’équipe de Soins infirmiers est fatiguée de se faire presser comme un vulgaire citron. Dans un contexte comme celui-ci, nos revendications pour l’actuelle négociation 2020-2025 sont d’autant plus pertinentes. 

En voici un aperçu :  

Considérant que l’allocation de « nombreuses préparations » est fixée à 0,3 depuis 2010, nous demandons que cette allocation soit réactualisée afin de répondre à la réalité.  

Considérant la concentration des heures de stages (2 à 4 jours de stage par semaine soit 18-36 heures contact étudiant/semaine/enseignant selon le numéro de cours) et la complexification des situations d’apprentissage, nous demandons qu’une annexe soit établie pour Soins infirmiers et que ces contraintes soient prises en charge dans le calcul de notre tâche. 

Considérant la diminution du temps d’hospitalisation des clients, qui entraîne une rotation quotidienne des situations cliniques et demande une capacité d’adaptation supplémentaire à nos élèves et aux enseignants, nous demandons que le facteur « adaptation » HC soit majoré à la hauteur du contexte actuel des soins de santé. 

Considérant l’obligation de payer annuellement le permis de pratique de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) pour pouvoir enseigner en milieu clinique (467 $ pour l’année 2018-2019), nous demandons le remboursement annuel de notre permis de travail imposé par l’OIIQ. 

Considérant qu’en situation clinique il est impossible d’offrir toutes les dispositions nécessaires à la réussite des élèves en situation de handicap (EESH) — par exemple : rédaction des notes au dossier dans un endroit calme, ordinateur ou logiciel ressource non disponible, etc. —, nous demandons qu’un facteur de considération soit établi entre un étudiant ou une étudiante en situation de handicap versus un étudiant régulier et d’en tenir compte dans le calcul de la tâche (théorie, laboratoire, stages). 

Considérant la faible rémunération du personnel enseignant en Soins infirmiers comparativement aux milieux de soins ainsi que les difficultés de recrutement, de rétention et la précarité d’emploi des nouvelles enseignantes et des nouveaux enseignants, nous demandons que la rémunération et la reconnaissance des acquis professionnels soient ajustées de manière à limiter l’écart entre les rémunérations du personnel enseignant en Soins infirmiers et les autres milieux professionnels. 

Le département de Soins infirmiers est confiant face à ces nouvelles propositions pour les négociations 2020-2025. Chose certaine, le département en a assez de se taire et compte bien se faire entendre!