J’aimerais tellement ça, croire les climatosceptiques.
Je voudrais ne pas vous parler de cette grève. Je voudrais aller m’acheter un bon bouquin, filer à la plage, manger des cornets de crème glacée, prendre l’avion pour Tahiti, jouer le sketch de la joie de vivre, me permettre le folklore de l’été à venir, la frivolité, le plaisir, les vacances…
Je voudrais avoir la preuve que j’ai tort. Je voudrais croire les climatosceptiques. Bon sang, qu’est-ce que ça me plairait, moi, de croire les climatosceptiques!
Mais la Terre a changé.
Aujourd’hui j’ai 61 ans. Et, pour mon malheur, j’ai une très bonne mémoire… Je me souviens de tous les coquillages qu’il y avait sur les plages autrefois. Je me souviens des nuages d’insectes qui m’énervaient tant. Je me souviens de la variété d’oiseaux, tant de variétés.
Je me souviens du vol des abeilles. De leurs piqûres aussi… Les mautadines… Mais j’avais fini par passer un pacte avec elles. Je les sauvais de la noyade : elles ne me piquaient plus. Je les cherche tous les étés, pour le pacte, pour les fleurs. Je ne les vois plus. Tout comme moi, les abeilles des étés d’autrefois préféraient la vie à la mort. Tout comme moi aujourd’hui.
Il fait froid. On est le 22 mai. Il a neigé il y a quelques jours.
Nos saisons ont changé. Les cultivateurs sont déjà sur le mode stress. Y aura-t-il du foin en juin, eux qui en ont récolté si peu l’été dernier?
Quelque chose a changé. Le nuage autour de moi et de ma ville a changé lui aussi de nature et de couleur. Il s’appelle smog. Il nous arrive maintenant de voir ce qui semblait impensable, dans un paysage si vaste, avec tant de fleuve et tant de forêt : Rimouski recouverte d’un édredon jaunâtre les soirs de chaleur. Entre air climatisé et automobiles, on sursature l’air que nos enfants respirent.
Honte ou crime des gouvernements inertes
Depuis le dernier été aux multiples canicules (plusieurs épisodes successifs à Montréal) qui a fait son lot de victimes (ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables qui meurent, ô quelle surprise…), qui a causé des incendies monstrueux un peu partout en Amérique du Nord et en Australie, qui a jeté les cultivatrices et les cultivateurs du Bas-Saint-Laurent dans les affres du manque chronique d’eau, depuis les inondations à répétition, depuis le cri d’alarme lancé en septembre 2018 par Antonio Gutterez, secrétaire général de l’ONU, depuis la COP 24 en Pologne de décembre 2018 au cours de laquelle les gouvernements ont accepté la fatalité de la hausse de 2 degrés du climat (c’est entre l’acte honteux et le crime), depuis la parution d’une pluie de rapports sur la disparition des espèces, sur la perte de la biodiversité, sur les ravages d’une agriculture industrielle qui privilégie les produits biocides pour nourrir la planète tout en préparant sa future famine, chaque jour, je me demande...
Pourquoi ne sommes-nous pas en grève tous les jours?!
Surproduction, surconsommation… et rébellion
Le mouvement La planète en grève (Earth Strike) du 27 septembre est parti tout à la fois des jeunes du monde et du Québec qui se retrouvent devant leur avenir avec la peur au ventre, tandis que certains manifestent une supposée absence de prise de conscience, meilleur moyen possible pour échapper au mal qui en ronge plus d’un : l’écoanxiété. Mais le subterfuge ne durera pas et les climatosceptiques, hélas, ont tort. Car il ne s’agit pas que du climat, pas que de transition énergétique. Il s’agit de surproduction et de surconsommation.
Tout se tient, étroitement enlacé : parce que l’énergie fossile est si facile à extraire et à utiliser, nos productions ont décuplé. Elles ont nécessité une main-d’œuvre abondante, renouvelable et corvéable qui devait s’adapter à tous les changements. Puisque la production a explosé, il a fallu transformer cette magnifique main-d’œuvre en consommatrices et consommateurs effrénés. L’exemple de Hong Kong est parfait en ce sens où, dans cette ville, les espaces publics de rencontre et de discussion ont été remplacés par les centres commerciaux. Et la roue infernale s’est mise à tourner. Notre vie, depuis les années 60, consiste à travailler et à consommer sans arriver jamais à apaiser nos besoins sans cesse renouvelés par la publicité. Sauf si nous nous trouvons dans la courte liste des bienheureux élus, les 10 % qui vivent avec beaucoup d’argent ou le 1 % qui détient la majorité de la fortune mondiale.
Dans ce monde de « progrès », nous nous sommes multipliés et à chacune, à chacun, on a fabriqué des rêves en série nourris par la propagande d’un monde marchand aux rouages superbement huilés. Nous le savons que la programmation a parfaitement fonctionné. Nous, profs de cégep, nous le constatons dans nos classes : nous avons devant nous des jeunes gens dont la vie se divise en deux temps : temps d’étude (pour avoir un meilleur salaire plus tard) et temps de travail, le deuxième tendant, peu à peu, à prendre plus de place que le premier. La raison de ce travail acharné? Répondre à cette série de besoins introjectés dans la veine de l’imaginaire depuis leur plus tendre enfance.
Mais tous les jeunes ne sont pas inconscients de ce qui leur arrive. Ainsi, cette année, le ministère de l’Éducation, dans le cadre de l’examen de français des élèves de secondaire 5, a posé la question suivante : « Peut-on s’adapter aux changements climatiques? » Les jeunes élèves ont été nombreux à très mal réagir à cette question. Voici ce que disent ces jeunes gens :
« On est fâchés que le Ministère nous fasse passer un examen sur l’environnement alors qu’ils ne font rien [...]. Même si on fait les plus beaux textes, on sait que ça ne changera rien. »
Et c’est la raison précise pour laquelle il faut que nous entrions dans ce mouvement de contestation, voire de rébellion contre un gouvernement qui, comme tous les gouvernements présents à la COP 24, prêchent l’acceptation de l’inacceptable et l’adaptation à ce à quoi nous ne pourrons plus nous adapter, passé un certain degré de réchauffement. Dans le même article, vous trouverez des extraits des textes fournis aux jeunes pour les préparer à l’examen qui corroborent cette vision. Vous y trouverez aussi des réflexions pleines de sens de ces jeunes gens qui, malheureusement, sont en train de développer une vision bien négative des adultes démissionnaires. Ces derniers sont en train de leur léguer un avenir des plus incertain tout en s’affirmant parents responsables et préoccupés par le bien-être de leurs enfants.
Pouvoir d’achat ou pouvoir de vivre?
« Puisqu’un jour il nous faudra quitter la Terre » : c’est ainsi qu’un de mes élèves a démarré sa présentation orale sur les projets de colonies martiennes de la NASA. Secouée par la phrase, j’ai interrogé la classe. La majeure partie était en accord avec cette phrase. Mes élèves m’ont parlé du jour du dépassement des ressources de la Terre qui, année après année, arrive de plus en plus vite. En 2018, c’était le 1er août.
Il ne s’agit pas que du climat, il s’agit de ce qui a causé la crise climatique : notre consommation effrénée. Depuis des décennies, lorsque nous manifestons ou faisons la grève, c’est pour notre pouvoir d’achat. Mais le 27 septembre 2019, il s’agira d’une tout autre grève : nous manifesterons pour préserver l’essentiel, c’est-à-dire notre pouvoir de vivre!