Combien de fois, dans ma vie, ai-je entendu ce jugement de valeur?
Quand les femmes crient, c’est pire que lorsque les hommes crient. Mais faites-vous crier après par un homme sur votre lieu de travail… Sa voix… assourdissante et vous… assommée, effrayée par la charge…
Quand les femmes médisent, c’est pire, c’est bitch, c’est cru, c’est méchant, c’est mesquin. Les hommes, eux, c’est franc, ça se dit en face ce que ça a à se dire… Pour vrai? Vous vous croyez quand vous dites cela? Après 13 ans d’enseignement à l’Institut maritime, dans des classes dominées par la gente masculine, de la mesquinerie, de la bitcherie, de l’hypocrisie, j’en ai vu, ni plus ni moins que dans des groupes féminins.
Quand les femmes dénoncent, elles vont trop loin, elles confondent tout, elles mettent sur la sellette des hommes qui ne méritent pas un tel sort… Mais les hommes qui les coincent dans un bureau, dans une réunion familiale, au détour d’une ruelle obscure, n’est-ce pas eux qui vont trop loin, qui confondent tout et qui mettent en danger des femmes qui ne méritent pas un tel sort?
À ma belle-mère effarée devant les titres de journaux qui relataient les nombreuses dénonciations du mouvement #Moiaussi, qui s’inquiétait de la violence sexuelle dans laquelle nous vivons, j’ai déclaré ceci: «Ce mouvement est pour moi la meilleure chose qui nous soit arrivée depuis longtemps. Cette violence sexuelle que tu nommes n’est pas une invention de 2018. Dans les dénonciations, les faits relatés datent parfois de l’enfance de celles et de ceux (car il y a des ceux) qui racontent, qui sortent enfin du silence. Le silence est le meilleur collaborateur des bourreaux. Ces dénonciations annoncent un monde meilleur dans lequel les victimes n’accepteront plus de se taire, dans lequel la parole des victimes sera enfin écoutée. Pas juste entendue. En tous cas, c’est mon voeu le plus cher.»
Je crois profondément que les femmes sont ni pires ni meilleures que les hommes, que les femmes sont des humains comme les hommes, mais le «dressage» dont elles sont l’objet depuis des millénaires ne fonctionne plus sur nos jeunes pousses qui ruent dans les brancards, vivent leur vie en toute liberté, qui assument leurs choix, qui jurent, crachent et pètent (pourquoi pas!), qui sont humaines avant toute chose. Et moi, je trouve cela très beau.
Permettez-moi de partager avec vous ici, une merveilleuse chanson d’Anne Sylvestre, chanson que j’avais trouvée jouissive à l’époque de la sortie de l’Album Une sorcière comme les autres (1975, aïe…): voici «Bergère»:
- Ah dis-moi donc bergère
À qui sont ces moutons?
- Monsieur, à la bergère
Qui se les achetions
Et mon pied au derrière
Devinez qui l'auront?
- Ah dis-moi donc bergère
Comment me parle-t-on?
- Monsieur faut vous y faire
On a changé de ton
Et mon pied au derrière
N'est pas pour mes moutons
- Ah dis-moi donc bergère
Mais que s'est-il passé?
C'n'est pas du tout ce que mon père
Et mon grand-père m'ont raconté
Ils m'ont dit que les filles
N'attendaient plus que moi
Qu'avant d'fonder une famille
Je devais m'amuser comme un roi
Ah dis-moi donc bergère
Tu as de bien beaux yeux
- Vous parlez d'mon derrière
Je le sais bien monsieur
Mais c'est pas votre affaire
Le touche qui je veux
- Bergère, allons bergère
Tu n'y es pas du tout
Moi je voulais te faire
Un brin de cour c'est tout
- En voilà des manières
Votre cour, je m'en fous
- Dis-moi, dis-moi bergère
Pour qui te prends-tu donc?
Soit dit sans vouloir te déplaire
Tu as le nez beaucoup trop long
Tu as la taille fine
La jambe beaucoup moins
Tu n'as pas assez de poitrine
Et tu aurais besoin d'un shampoing
Ah non vraiment bergère
À bien te regarder
Vraiment tu exagères
De tant me résister
Tu devrais être fière
Que je t'aie remarquée
- Monsieur, dit la bergère
Me faites pas rigoler
Ce que votre grand-père
N'vous a pas expliqué
C'est que je les préfère
Un peu mieux baraqués
Elle a point la bergère
Le soleil dans les yeux
N'en déplaise à m'sieur votre père
Vous n'êtes pas terrible, mon vieux
Suffit pas qu'le coq chante
Pour qu'on vienne en gloussant
Pour en trouver de plus causantes
Faudra changer votre compliment
- Tu te trompes bergère
J'ai une fiancée
Qui a d'autres manières
Et qui sera comblée
Par c'que je vais lui faire
Le dix du mois de mai
- Je sais, dit la bergère
Elle est pas mal du tout
Et puis elle est pas fière
Elle s'amuse sans vous
Avec mon petit frère
Dans le pré en dessous