Écoutons les femmes : l’injonction peut sembler étrange. Pourtant, elle est nécessaire. Nous avons lancé un appel d’anecdotes à nos collègues enseignantes, histoire de faire une recension (non exhaustive, bien sûr) des moments où les femmes ne sont pas écoutées. Et nous avons eu envie de dire MOI AUSSI à la lecture de chacun de ces témoignages. Les voici, en vrac.
Merci à Michelle Beaulieu, Myriam Litalien-Bradley, Marie-Josée Boudreau, Caroline Laberge et Élise Côté-Levesque pour leur partage!
« La fois où je n’ai pas été écoutée parce que je suis une femme, c’est devant un entrepreneur. Je lui posais des questions, et il ne répondait pas du tout et il répondait à mon chum sans me regarder. Après trois fois, je lui ai dit : c’est moi qui t’ai appelé et qui vais te payer, tu es ici dans ma maison, regarde-moi quand je te parle ou câlisse ton camp. Il a dit : “oh! elle est maline, la madame”, mais après il m’a regardé. En plus de me mettre à l’écart, il me dit que je suis maline. Ce fut son dernier contrat pour moi. D’ailleurs, chaque fois que j’ai appelé un entrepreneur pour les travaux intérieur ou extérieur sur mes trois maisons, ce fut toujours la même chose, ils ne m’écoutent pas, ils me coupent la parole et parlent à mon chum. Mon chum, pas plus fin, me laisse derrière et ne m’écoute pas non plus. En plus, c’est toujours moi qui les paie, c’est tellement insultant et humiliant. Tout ça parce que je suis une femme. »
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« La fois où j’ai commencé à prendre conscience du fait que presque tout ce qui nous entoure n’est pensé que pour les hommes, j’ai compris, à nouveau, que les femmes n’étaient pas écoutées. La fois où j’ai appris que les normes de sécurité des voitures étaient conçues exclusivement pour les hommes et que certains dispositifs de sécurité pouvaient même entraîner des blessures spécifiques aux femmes. Celle où j’ai appris que nombre d’études en santé ne sont menées que sur des hommes, alors que des traitements et médicaments qui fonctionnent chez l’homme peuvent ne pas avoir un effet comparable chez la femme. Celle où je me désespérais d’avoir des skis dont la cambrure ne correspond pas à mon poids, classés “mous” alors que je suis une skieuse technique et énergique, jusqu’à ce que mon père me dise : “Le classement tient uniquement compte de la force musculaire des hommes”. Les skis haut de gamme sont-ils uniquement pour les hommes? Il est où, le classement pour les femmes? Non mais, ne sommes-nous pas la moitié de l’humanité? »
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« C’est dur de choisir : ça m’est arrivé à chaque visite dans une quincaillerie, dans un garage et chez un concessionnaire automobile lorsque j’étais accompagnée d’un gars. Même si c’est moi qui voulais acheter l’auto, ou les pneus, ou le nouveau tuyau de sécheuse. On a toujours répondu directement au gars qui était à mes côtés, même quand j’avais posé directement la question et que ledit gars regardait ailleurs et connaissait le sujet encore moins que moi. C’est malheureusement une situation courante! »
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« La fois où j’ai acheté le jeu vidéo Street Fighter V pour moi (payé avec mes sous), pis que le commis ne m’a jamais regardée et a fait toute la transaction en s’adressant à mon chum, même pendant que je payais MON jeu. »
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« “La fois où je n’ai pas été écoutée parce que je suis une femme”, en fait, ça m’est arrivé souvent dans ma vie et ça m’arrive encore. Que ce soit pour réparer un véhicule, parler d’un projet ambitieux, même pour faire percer les oreilles de ma fille, on me disait : “Reviens avec ton mari et on verra”. Ils ont tous vu le diable. J’embarquais dans mon véhicule déçue, pas contente, en leur disant qu’ils n’étaient que des machos pas évolués... »
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« La fois où je n’ai pas été écoutée parce que je suis une femme, c’est quand j’ai raconté à mon père que son ami s’était essayé sur moi. Il a vite trouvé une excuse à son ami et m’a dit que j’avais sûrement mal interprété ses intentions. Il m’avait pris les deux seins en me ramenant contre lui et m’avait dit que sa femme était d’accord si on le faisait ». Ça ne peut pas être plus clair, il me semble… »
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« Toutes ces fois où l’on a invalidé la manière dont je me sentais en me disant de sourire.
Sois belle et tais-toi.
On m’a dit de sourire alors que j’étais concentrée;
on m’a dit de sourire alors que j’étais occupée;
on m’a dit de sourire alors que j’étais préoccupée;
on m’a dit de sourire alors que je n’allais pas du tout;
on m’a dit de sourire alors que je n’étais simplement pas en train de sourire.
On s’attend de moi, en temps que femme, que je sourie en toutes occasions. Ce sourire est tatoué sur mon visage pour que l’on sente que je suis facile d’approche, que je suis douce et chaleureuse, maternelle et accueillante. Ce sourire est construit, appris et ancré profondément en moi. Je suis conditionnée comme le chien de Pavlol qui salive au son d’une cloche.
Ce sourire est ineffaçable, indécrottable.
Nous avons appris à sourire en tout temps pour sauver les apparences.
Parce que tout va bien dans le meilleur des mondes,
Les femmes sont là, souriantes. »
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« La fois où je suis allée m’acheter des skis de fond.
J’avais économisé depuis un bout de temps et cet automne, j’ai décidé d’aller m’acheter un kit tout neuf de skis de fond. Ça faisait plusieurs années que j’en rêvais.
Accompagnée de mon conjoint, je me rends au magasin où l’on vend les fameux skis. Un employé nous accueille et nous amène dans la section en question. Immédiatement, sans me poser de questions, il me dirige vers la sélection qu’il qualifie de skis pour se promener en forêt et regarder les oiseaux. Je reste bête, je ne sais trop quoi répondre sur le coup.
Il enchaîne : Combien pesez-vous, ma belle p’tite madame?
Interloquée, je lui réponds simplement que j’ai besoin de 188 cm, j’avais magasiné au préalable, tsé, je savais ce que je voulais.
Et ce n’est pas la question du poids qui m’ébranle, mais bien la p’tite madame...
C’est pas comme ça que ça marche.
Il ne me regarde même pas et semble chercher quelque chose parmi les skis… Il relève soudainement la tête vers mon conjoint qui tripote des skis au hasard un peu plus loin : Ah! vous connaissez ça, vous!
Je fulminais.
L’employé me pointe les bottes de skis plus loin : En plus vous allez pouvoir choisir des beaux petits souliers de couleurs qu’on vient de recevoir.
J’ai cru prendre feu spontanément.
Imaginez maintenant la même conversation avec un client de 30 ans devant la section de skis pour aller “regarder les oiseaux”. Combien pesez-vous, mon beau p’tit monsieur? Regardez notre belle sélection de souliers colorés! De la pure science-fiction.
Ici, ce n’est même pas que l’on ne m’ait pas écoutée; le vendeur savait carrément ce que je voulais à ma place! On ne m’a posé aucune question ni sur mes besoins ni sur mon expérience de skieuse. On a tout simplement tenu pour acquis que j’allais me promener en forêt et que je ne connaissais rien en matière de ski de fond. Tout ça parce que je suis une femme.
Deux ans auparavant, dans le même magasin, j’accompagnais mon conjoint pour l’achat de sa première paire de skis de fond, sport qu’il n’avait jamais pratiqué de sa vie. Pourtant, le vendeur lui a parlé immédiatement de performance, on s’est adressé à lui comme à un connaisseur, comme à quelqu’un qui allait faire du vrai sport. On l’a questionné, on l’a écouté et on a répondu à ses besoins. Il a reçu un service impeccable.
On ne peut nier le double standard ici. Et qu’on vienne me dire que le féminisme n’a plus lieu d’être aujourd’hui! Pffffff. Le sexisme ordinaire, c’est tout le temps, tous les jours.
Et messieurs, les p’tites madames, c’est non. Prenez-en bonne note. »