« La jeunesse, c’est toujours l’éducation et l’éducation, c’est la jeunesse. »
(Paul Gérin-Lajoie, le 13 octobre 1965, gala des Grands Prix du festival du disque)
Le 25 juin de cette année, Paul Gérin-Lajoie s’est éteint, âgé de 98 ans. J’étais en deuil national. Aux premiers jours de la rentrée, j’ai demandé à mes étudiantes et étudiants s’ils connaissaient cet homme. Non. Le premier de tous les ministres de l’Éducation au Québec, ai-je lourdement insisté ? Non. L’un des artisans ardents de la Révolution tranquille ? Silence radio. Connaissez-vous les dictées PGL ? Ah ben oui, oui, ça, ils connaissaient. Certains en avaient entendu parler. Certains y avaient participé. Une fois, peut-être deux.
Ainsi, je découvris, à mon grand désarroi, que Paul Gérin-Lajoie, le « père de l’éducation moderne au Québec », ne laisse dans la mémoire en creux de nos cégépiennes et cégépiens que trois initiales dont ils ne connaissent même pas l’origine.
Blessée par cette révélation, je racontai l’anecdote à mon tendre et cher époux. Paul Gérin-Lajoie, me questionna-t-il, c’est qui déjà ? Soupir…
Au pays du « je me souviens » (Madame Payette, quel message vouliez-vous nous passer en choisissant cette devise ?), la mémoire est déposée dans une chambre secrète, et rares sont celles et ceux qui semblent y avoir accès.
L’artisan de la naissance du ministère de l’Éducation (1964)
Pourtant, Paul Gérin-Lajoie a été, jusqu’en juin de cette année, un esprit remarquable, un politicien inspiré, un homme de convictions qui s’est battu toute sa vie pour une grande cause : pour l’alphabétisation, mais aussi et surtout pour une éducation de qualité, moderne, accessibles à toutes et à tous, quel que soit le lieu où l’on se trouve car, à ses yeux, l’instruction était, est et sera toujours le véritable outil d’émancipation des individus dans un monde jamais avare d’injustices et d’inégalités.
Né en 1920, il est élu en 1960 en même temps que Jean Lesage ; il faisait partie de « l’équipe du tonnerre ». Il était si brillant que Lesage lui proposa le poste prestigieux de procureur général, mais Gérin-Lajoie le refusa. Il demanda un ministère beaucoup moins scintillant, mais qui lui tenait vraiment à cœur : le ministère de la Jeunesse (de 1960 à 1964), qui s’occupait des rares établissements scolaires qui n’étaient pas sous tutelle cléricale. Malgré Lesage lui-même, qui s’opposait à l’idée d’un ministère de l’Instruction publique1, et malgré l’immense lobby du clergé de l’époque, Gérin-Lajoie finira par être le premier ministre du tout nouveau ministère de l’Éducation qui sera créé, grâce à lui, en 1964.
Le retard du Québec en ce qui avait trait à l’éducation était énorme, le chantier que proposait Paul Gérin-Lajoie était donc colossal. Portée, entre autres, par le Rapport Parent2, la réforme de l’instruction publique, issue de la Loi 60, dont notre homme va se faire le chantre, transformera à jamais le visage du Québec. On développe les cégeps, les universités du Québec ; les ordres supérieurs d’éducation sont déconfessionnalisés. Ce sera plus long pour le primaire et le secondaire.
Cet enjeu de l’éducation pour toutes et tous sera le grand axe autour duquel s’articulera sa vie entière, et le fait que la Fondation Paul Gérin-Lajoie œuvre à l’alphabétisation des enfants et des adultes dans des pays tels Haïti ou le Sénégal en témoigne.
L’audace du véritable changement
« Dans tous les domaines qui sont complètement ou partiellement de sa compétence, le Québec entend désormais jouer un rôle direct, conforme à sa personnalité et à la mesure de ses droits. »
(Discours de 1965)
Non content de voir à améliorer la qualité de l’enseignement et la démocratisation de celui-ci, Paul Gérin-Lajoie participa activement au rayonnement du Québec sur la scène internationale, par le biais de la doctrine Gérin-Lajoie (1965), laquelle « deviendra la base des revendications québécoises en matière internationale »3.
L’audace d’un véritable changement de paradigme portait cet homme hors du commun qui voulait sortir un peuple tout entier de l’ignorance dans laquelle on le confinait. Nous lui devons beaucoup. Il aura permis au Québec de rayonner tant par le développement de ses savoir-faire et de son ingéniosité, favorisée par une éducation modernisée, que par le développement d’une diplomatie internationale qui brillera surtout sur le plan culturel.
Il nous voyait grands, très grands. Nous le sommes, mais les éteignoirs sont légion en ce monde et il ne fallait surtout pas que le Québec existe trop par lui-même. L’histoire ne cesse de nous donner des exemples en ce sens, jusqu’à tout récemment encore avec le nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).
Merci de tout mon cœur, Paul Gérin-Lajoie, pour tout ce que vous nous avez donné. Merci d’avoir cru en ce peuple auquel j’ai choisi d’appartenir par amour pour ce qu’il était. Ce qu’il était, me direz-vous ? « Quelque chose comme un grand peuple », à votre image en somme : audacieux, courageux, entêté et généreux. Et oublieux...
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Notes
- Claude Gauvreau, « Le rapport Parent : un document fondateur », INTER. Magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 11, no 2, automne 2013, [En ligne]. Adresse URL : https://www.actualites.uqam.ca/2013/le-rapport-parent-un-document-fondateur, page consultée le 2 octobre 2018.
- Ibid.
- Robert Aird, « La doctrine Gérin-Lajoie - Signé André Patry », Le Devoir, 9 mars 2005, [En ligne]. Adresse URL : https://www.ledevoir.com/politique/canada/76516/la-doctrine-gerin-lajoie-signe-andre-patry, page consultée le 2 octobre 2018.